• La question centrale de l'informatique en médecine de famille est de fournir à l'ordinateur, cette machine à traiter les grands nombres, de la matière analysable. Rendre analysable le contenu de la relation d'écoute diagnostique et thérapeutique humaine est donc au centre des préoccupations des chercheurs. Aborder en globalité des problèmes que la technique force à découper. Aborder un être humain à partir de sa demande. Aborder et analyser l'agir médical qui découle de cette demande. Bref reconstituer la chaîne de l'offre à partir de la demande -besoin.

  Comme le souligne Monique Van Dormael dans sa thèse de doctorat en sociologie(Médecine Générale et modernité, Institut de Sociologie, ULB, Bruxelles,1995);

  l'épidémiologie est à la médecine de famille ce que la technologie est à la médecine spécialisée.

  A partir de l'analyse de leur activité clinique, les généralistes peuvent produire la connaissance dont ils ont besoin pour prendre les décisions cliniquement les mieux adaptées au problème du patient.

  L'information générée à la consultation de médecine de famille peut être analysée et opérée. L'opération de l'information circulante donne naissance d'une part au dossier médical et à l'organisation quotidienne et d'autre part à l'organisation de la prévention (inscription de la relation dans le temps). L'analyse de l'information fournira les bases nécessaires au développement de l'Assurance de Qualité. Elle permet aussi la constitution de bases de données cohérentes productrices d'un nouveau savoir. (Cfr. Le logiciel TRANS, Département de médecine générale, UVA, Amsterdam). Opérée ou analysée, l'information peut être transférée, vers le patient et les autres institutions de soins et vers l'enseignement, la recherche et l'organisation de la santé publique.

• Le temps est le concept majeur qui divise médecine de famille et médecine spécialisée. La médecine spécialisée collecte des informations précises dans un champ scientifique quasi exhaustif mais de façon ponctuelle, dans un temps réduit. La médecine générale a pour elle la longitudinalité, c'est-à-dire la construction d'une relation dans le temps, factuelle ou personnelle. D'autre part, la prévalence des affections habituellement rencontrées en médecine générale est basse. Les phénomènes morbides sont répartis en faibles quantités. De son côté, un spécialiste a une fausse appréciation de la prévalence. Le biais de sélection qu'il subit lui fera penser que telle ou telle affection est fréquente. La perception du travail est différente et de plus la probabilité qui base les décisions sera profondément différente puisqu'on sait que cette probabilité change avec la prévalence. En ce sens, on peut dire que le généraliste doit être très sensible et que le spécialiste doit être très spécifique et a moins droit à l'erreur, ce qui force la technique. Le généraliste peut « rater »  un diagnostic. Il comblera ce défaut de spécificité en revoyant le patient. On a pu dire que le généraliste a plus que tout autre la possibilité de déclarer normal un phénomène observé. Pour limiter l'erreur, il faut donc donner « du temps au temps ». Le gain de spécificité naît de par la création d'un espace temporel, caractéristique de la profession.

• Le médecin de famille prend sa décision opératoire sur base d'une appréciation à laquelle on a coutume de réserver l'usage du terme diagnostic. Or s'il est des diagnostics anatomopathologiques ou physiopathologiques, la plupart sont soit nosologiques, soit symptomatiques, soit émotionnels soit encore sur base d'un comportement problématique
• De plus l'agir médical n'est pas confiné au champ du curatif. Si on considère que la consultation est la rencontre entre la science et une conscience, entre une connaissance (du médecin) et une inquiétude (du patient) on peut établir ainsi la coexistence de quatre champs. Dans un premier cas, il n'y a pas de maladie et le patient se sent bien. C'est pourtant le champs de la promotion de la santé et des vaccinations, typique de la prévention primaire. Dans le second cas, le patient se sent très bien mais le médecin envisage la probabilité d'une maladie. Il s'agit donc typiquement du dépistage et de la prévention secondaire. Si patient et médecin tombent d'accord, on se retrouve dans le troisième champ, celui du curatif ou la notion de diagnostic habituellement s'applique. Notons que la prévention des complications et la réhabilitation portent le nom de prévention tertiaire. Il nous reste donc un champ, celui ou l'angoisse du patient rencontre l'incrédulité du médecin. Celui du patient du lundi matin qui a vu une émission cardio le samedi soir, celui de la femme affolée par la « boule » qu'on lui a trouvée ou par cet angiome du foie de cinq millimètres que le scanner a démontré. Cet espace est celui de la médicalisation des phénomènes existentiels. Identifier les problèmes et prendre les mesures nécessaires au contrôle de ces situations s'appellera logiquement prévention quaternaire.

• Publié en 1987 par les Dr Henk Lamberts (Amsterdam) et Maurice Wood (Virginie, USA) l'International Classification of Primary Care (ICPC) est le fruit de vingt ans de travaux en Europe du nord. Le Dr Bent Bentsen, professeur de médecine générale de l'Université de Trondheim en Norvège a été l'initiateur des premiers travaux publiés en 1976 par le Comité de Classification de la Wonca (CCW). Depuis lors et au rythme des réunions du Comité, les outils se sont succédé et perfectionnés. Les classifications élaborées par le Comité ou par ses membres ont été fondues en une seule, l' ICPC. Les trois classifications sont nées de travaux portant sur la catégorisation des diagnostics (ICHPPC 1, 2 & 2 Defined), l'étude des motifs de contact (Reason For Encounter Classification) et sur celle des procédures (IC-Process-Pc). A signaler que contrairement aux modèles américains, le CCW a toujours refusé d'inclure dans ses critères un facteur de facturation qui n'apporte rien à la connaissance interne de la médecine de famille.
• Le CCW réunit une fois par an des généralistes chercheurs de différents pays (souvent vingt à trente pays représentés) et construit les outils qui permettent l'étude de la médecine de famille. La langue de travail est l'anglais. Publiée en français sous le nom de Classification Internationale des Soins Primaires, la CISP identifie et assemble des éléments d'apparence disparate, tant biologiques que psychosociaux et qui fondent l'activité des dispensateurs de soins de premier recours. Centrée sur l'humain et basée sur ses demandes, elle permet de montrer et d'analyser les réponses des acteurs producteurs de soins que sont les médecins. Elle pourra donc être utile au développement d'une informatique de qualité au service des patients. Le Club des utilisateurs francophone de la CISP (Cisp club) a été chaleureusement accueilli et intégré au CCW.
• Depuis cinq ans, le comité prépare la CISP 2, fortement remaniée et surtout assortie de définitions et de critères d'inclusion et d'exclusion (parution prévue avant juin 97). Le transcodage avec la CIM-10 est à l'ordre du jour et un groupe international s'attache à élaborer une conversion standardisée. Une terminologie classifiée vers la CISP et vers la CIM-10 a été développée par le groupe recherche de la Fédération des Maisons Médicales. Cette terminologie, construite sur les principes de la documentologie permet de classifier douze mille termes standardisés. Ce type de travail est aussi réalisé par des canadiens et des australiens.
• Les principaux aspects présentés ici ainsi que la terminologie classifiée et standardisée font l'objet d'un ouvrage en deux volumes publiés par CARE Editions, rue Frère Orban 94, B-6040 Jumet, Belgique sous le titre Approches Taxinomiques en Médecine de Famille et dont les auteurs sont Michel Roland, Marc Jamoulle et Bernard Dendeau.

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