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Pierre Cornut contre les coups dans l'eau


Esprit Libre : Une thèse consacrée aux enjeux de l'eau potable, c'est forcément militant, non ?
Pierre Cornut : Il est clair que ma thèse est assez engagée, assez politique, tout en restant scientifique. Je me base sur une analyse objective des faits, une démarche géographique, historique et environnementale. Le jury de la FGF a aimé le côté engagé mais il a aussi aimé le côté un peu iconoclaste parce que je lutte pour une véritable pluridisciplinarité.

Esprit Libre : Qu'est-ce que vous y dites, dans votre thèse ?
Pierre Cornut : Je dis que l'eau potable est aujourd'hui accessible à presque tout le monde en Europe et qu'elle risque de ne plus l'être demain. J'ai analysé deux phénomènes. D'une part, le fait que la pénétration du capital privé dans le domaine de l'eau potable, associée à une libéralisation du marché, risque d'amener une dualisation de l'accès à l'eau selon les revenus. D'autre part, s'ajoutent à cela des phénomènes qui découlent de la prise en compte des aspects environnementaux : c'est très bien mais à force de vouloir protéger l'environnement, on oublie parfois le côté social. Des mesures à caractère environnemental peuvent avoir des conséquences sociales dangereuses. Tout ce que je dis là est généralisable à l'Europe : la directive cadre sur l'eau potable d'octobre 2000 indique qu'il faut récupérer l'ensemble des coûts liés aux usages de l'eau dans le prix de l'eau potable. Typiquement, c'est une mesure environnementale tout à fait louable, puisqu'on va enfin épurer les eaux usées, mais cela augmente le prix de l'eau d'une manière non contrôlée d'un point de vue socio-économique. On ne mesure pas trop quel impact cela va avoir sur les consommateurs, particulièrement les plus démunis dont on ne sait pas bien comment ils fonctionnent par rapport à leur consommation d'eau.

Esprit Libre : Et voilà donc pourquoi la FGF vous a donné son prix...
Pierre Cornut : Oui, je n'y croyais pas. C'est d'ailleurs toute l'histoire de ma vie : je n'imagine jamais que je vais obtenir ce que je demande ! Même ma thèse, je n'ai jamais cru que j'allais la terminer… Et puis voilà, j'ai le prix et j'en suis super heureux. C'est une reconnaissance, évidemment, mais surtout, grâce à la publication, prévue pour la fin de cette année, ma thèse va devenir un ouvrage grand public, ce qui ouvre énormément de portes dans le secteur de l'eau, dans le secteur associatif, dans les médias. C'est très important pour moi parce que cela me permet de concrétiser mes idées, c'est à dire passer du stade de chercheur à celui d'acteur dans la société.

Esprit Libre : On peut donc dire que cette thèse vous donne un sacré bonus...
Pierre Cornut : C'est vrai. Pourtant, faire une thèse c'est vraiment dur. C'est long, c'est difficile. On patauge énormément. C'est un parcours du combattant. Je suis très heureux d'avoir eu une bourse du FNRS mais ce serait bien qu'il y en ait plus : j'ai des collègues qui avaient des sujets en or, et des têtes en or pour les mener à bien, mais qui ont abandonné pour des raisons matérielles. Je dois dire aussi que Jean-Michel Decroly, qui est prof à l'Igeat, a été pour moi un guide scientifique et psychologique fantastique.

Esprit Libre : Et quand vous ne lancez pas de pavés dans la nappe phréatique, vous faites quoi ?
Pierre Cornut : J'adore lire des romans. Cela me permet de m'évader complètement. J'arrive à lire même dans le brouhaha du train. Un copain de la bibliothèque m'a notamment fait découvrir la collection 10-18 " domaine étranger ". Et puis, j'essaie de dégager le plus de temps possible pour réserver des moments privilégiés à ma petite famille. C'est difficile de combiner un travail avec un rôle de père que j'aimerais plus actif. C'est difficile quand on est un homme parce que, dans le contexte professionnel, on accepte plus facilement d'une femme qu'elle prenne plus de temps pour ses enfants. Un homme qui demande un 4/5 temps, par exemple, ce n'est pas bien vu. On vit dans une société de plus en plus anti-couple, anti-famille. Il faut être rentable...

Nicolas Van den Bossche

Portrait d'un jeune homme qui a jeté une thèse dans la mare... Pierre Cornut est maître de conférence à l'Institut de gestion de l'environnement et d'aménagement du territoire (ULB). Il s'est récemment vu attribuer le Prix de la Fondation pour les générations futures pour ses recherches consacrées aux enjeux de l'eau potable au XXIe siècle en Europe occidentale.



 
 ESPRIT LIBRE > JUIN 2002 [ n°5 ]
Université libre de Bruxelles