La campagne 1999 s'est concentrée dans le complexe pyramidal n°3, qui domine l'ensemble du site au nord-est. Cet ensemble rassemble plusieurs pyramides à rampe, dont une partie a été fouillée par l'équipe belge entre 1993 et 1995. Au cours de cette campagne, les fouilles se sont concentrées dans les parties hautes du complexe, à savoir les pyramides A et B. L'occupation de chacun des secteurs à travers le temps a ainsi pu être précisée.

Complexe pyramidal n°3. En jaune, les zones fouillées entre 1993 et 1999, en vert les
zones fouillées en 2000-2001.



Reconstitution 3D du complexe pyramidal n°3 (Direction : P. Eeckhout & C. Farfán ;
Lever : Daniel Parent ; Infographie : V. Thieren).





La campagne de fouilles 1999 à Pachacamac

L'objectif spécifique de cette mission consistait à vérifier les hypothèses émises à propos du fonctionnement de la Pyramide n°3 sur base des fouilles précédentes et à compléter nos connaissances par l'exploration de certains secteurs de l'édifice, jusque là inconnus.

Pour rappel, le bâtiment actuellement visible compte trois phases constructives successives (D, B et A), lesquelles se superposent partiellement. Seules les deux dernières comprennent toutes les caractéristiques d'une pyramide à rampe dans le plein sens du terme, c'est-à-dire une plateforme orthogonale associée par le biais d'un plan incliné à une cour surbaissée entourée d'un mur, lequel est pourvu d'une entrée depuis l'extérieur. Dans le cas des pyramides A et B, il est intéressant de remarquer qu'elles appartiennent toutes deux au type « à rampe centrale », plus particulièrement représenté à Pachacamac et dans son site alter-ego de l'hinterland, Pampa de las Flores. Plus de quarante pyramides à rampe de différents types ont en effet été répertoriées et levées dans la vallée du Lurín, dans le cadre du projet Ychsma. Il en existe de nombreuses autres dans les diverses vallées de la Côte centrale (Rímac, Chancay, Huaura, ...). Ce modèle architectonique récurrent, dont la diffusion remonte à l'Intermédiaire récent selon la plupart des auteurs, a fait l'objet d'interprétations diverses, principalement inspirées des sources ethnohistoriques. L'originalité du Projet Ychsma est d'adresser cette problématique par l'archéologie, et notamment la fouille complète d'une exemple jugé représentatif : la Pyramide n°3.

Les recherches ont amené à suggérer que les pyramides correspondent aux palais de dignitaires qui se succèdent selon une règle dynastique. Dans le cas particulier de la Pyramide n°3, les investigations conduites en 1999 ont permis de préciser les limites et le plan général de chacune des phases évoquées ci-dessus.

Ainsi, il est apparu que la phase D -la plus ancienne- se compose en réalité d'un énorme mur rectiligne de près de 100m de long orienté est-ouest ; une rampe ascendante de 1,70m de large lui est adossée dans la première moitié de son parcours. Aucun indice n'a été relevé qui permette d'éclairer la fonction de cette étrange structure, dont il n'existe pas d'autre exemple connu à Pachacamac. Il est cependant vraisemblable qu'une partie importante de la phase D a été détruite et/ou recouverte par la pyramide à rampe de la phase B, datée du premier tiers du XVe s.

La Pyramide B comprend deux cours surbaissées jumelles : la première, associée à la rampe et à la plateforme principales, avait été fouillée en 1995. La seconde, parallèle à la première et uniquement accessible depuis celle-ci, a été fouillée de façon extensive cette année. Elle a révélé une intense occupation domestique incluant la présence de foyers, de nombreux restes alimentaires de toutes sortes, de structures destinées à l'élevage de cochons d'Inde et de tessons de poteries destinées à la cuisson et à la présentation des aliments. Il s'agit plus que probablement d'un espace dévolu à la préparation des repas et banquets donnés au sein de l'édifice.

L'entrée principale de la Pyramide B a été identifiée dans l'angle sud-est de la première cour. Cet accès monumental de plus de 2m de large et 3m de hauteur était contrôlé depuis un bastion situé sur l'un de ses côtés et jouant le rôle de poste de surveillance, directement accessible depuis le coeur de la pyramide par les chemins épimuraux (c-à-d aménagés sur la partie supérieure des murs). Le poste de contrôle a été entièrement dégagé et son bon état de conservation permet de se faire une idée de l'aspect original de l'architecture, avec ses plateformes, niches, coursives et rampes latérales formant un parcours labyrinthique. Plusieurs offrandes correspondant à la période d'abandon volontaire de la Pyramide B (ca 1435) ont été découvertes dans ce secteur, soigneusement enfoui à l'époque sous une couche de sable fin sélectionné.

La fondation de la Pyramide A (ca 1435) entraîne des transformations importantes de la pyramide antérieure, dont une bonne moitié de la cour principale est recouverte par un nouveau sol et l'espace réaménagé pour de nouvelles pièces ; l'ancienne entrée est condamnée. Un accès étroit et tortueux -sans doute réservé à quelques privilégiés- permet aux occupants de la plateforme de la nouvelle pyramide -c'est-à-dire l'élite- de se rendre dans les parties préservées de l'ancien palais où, selon l'hypothèse proposée, se trouvait la tombe du seigneur défunt. Ces indices cadrent assez bien avec la pratique du culte funéraire telle qu'elle est décrite par certains chroniqueurs de l'époque coloniale.

La comparaison des plans originaux respectifs des Pyramides A et B, à présent clairement établis, ouvre de nouvelles perspectives à l'étude de la tradition architecturale locale, par exemple en ce qui regarde le système de circulation interne et l'affectation préférentielle des espaces. Il ressort en effet de l'analyse préliminaire qu'une double dichotomie peut être mise en évidence dans chacune des phases successives. Dichotomie d'occupation d'abord, entre les parties surélevées comme les plateformes et leurs pièces adjacentes (réservées à l'élite résidente), d'une part ; et les parties basses comme les cours (accessibles au commun et sans doute aux invités), d'autre part. Une autre dichotomie, plus inattendue, est celle que révèle la bipartition gauche/droite des structures associées directement aux plateformes, ainsi que du système de circulation qui en découle. On observe en effet que le transit depuis la plateforme vers la gauche conduit systématiquement vers des pièces et structures destinées à l'entreposage, au stockage et au contrôle ; tandis que le côté droit mène à des endroits à l'architecture plus élaborée suggérant une fonction différente, sans doute résidentielle et peut-être cérémonielle. Ces deux secteurs gauche et droit ne sont pas reliés entre eux et c'est donc au niveau de la plateforme que se fait la distribution du transit. On est tenté d'y voir une division d'ordre sociologique et symbolique entre l'économico-administratif d'un côté, et quelque chose de plus transcendental de l'autre. Il est intéressant de constater que Christopher Donnan (1986) arrive aux mêmes conclusions pour ce qui regarde les pyramides du site de Pacatnamú, situé à plus de 600km de Pachacamac, sur la Côte nord du Pérou.

Les fouilles de la Pyramide n°3 ont aussi mis au jour plusieurs tombes intrusives, toutes partiellement pillées. Elles correspondent à la période d'occupation inca (ca 1470-1533), ainsi qu'en atteste le style de certains artefacts issus du mobilier funéraire . Ces tombes se trouvaient dans la pyramide A, la plus récente, abandonnée peu de temps avant l'arrivée des Incas à Pachacamac. Peut-être s'agit-il des sépultures des héritiers du dernier seigneur Ychsma, qui en raison du changement de régime n'ont pas pu se faire construire leur propre pyramide-palais.

Une courte phase de réoccupation domestique marquée par quelques fondations de huttes disséminées au sein du bâtiment remonte vraisemblablement à la période qui a directement suivi la conquête espagnole. La Pyramide n°3 a ensuite été totalement abandonnée et livrée au pillage, dont on a des traces directes jusque dans les années 1960.

A noter enfin la présence de nombreux tessons de style Lima (ca 250-550p.C) dans les couches de comblement constructif, et également dans le mortier qui a servi à fabriquer certaines adobes. Ceci nous indique qu'une partie au moins des matériaux utilisés dans la construction proviennent de zones anciennes du site, dont on sait par ailleurs qu'il a été occupé de façon permanente depuis les débuts de notre ère.

Références citées :
Donnan, Christopher B.

1986 The Huaca 1 Complex. In The Pacatnamu Papers, Volume 1 , eds C.B. Donnan & G. Cock, pp.63-84. Museum of Cultural History, University of California, Los Angeles.