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Professeur de sociologie à l’ULB, Andrea Rea a créé et dirigé le GERME, Groupe de recherche sur les relations ethniques, les migrations et l’égalité. Il étudie les questions migratoires tant à Bruxelles qu’en Belgique ou dans des études comparées avec l’Université de Genève et l’Université de Montréal notamment.

Andrea Rea est également l’auteur de nombreux ouvrages sur l’immigration, le racisme et les migrations contemporaines. Il signe notamment un chapitre dans le livre “Antiracistes” paru en 2017, sous la coordination du sociologue Michel Wieviorka. Andrea Rea est par ailleurs doyen de la Faculté de Philosophie et Sciences sociales.


andrea.rea@ulb.ac.be

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Janvier 2018 - Racisme décomplexé

Andrea Rea, Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Egalité (GERME)


Andrea Rea, le président de la N-VA Bart de Wever associe migration et mise en péril de notre système social. Ce lien est-il démontré?

Non, les déclarations de Bart de Wever vont même à contre-courant de ce que disent les études. La Banque nationale de Belgique a conclu dans un rapport de 2016 que les étrangers contribuent à la croissance économique, ils ne représentent absolument pas un coût pour l’économie belge. Notre centre de recherche, le GERME, a quant à lui montré que bien sûr, les réfugiés coûtent à l’État lorsqu’ils reçoivent le revenu d’intégration sociale au moment de l’acquisition de leur statut de séjour. En revanche, la Belgique n’a pas payé leur scolarité puisqu’ils se sont formés dans leur pays d’origine et dès qu’ils travaillent - et, pour certains se lancent dans une activité d’indépendant -, les réfugiés contribuent à la croissance économique du pays et à l’accroisement du budget public et de la sécurité sociale. Les étrangers ou réfugiés ne mettent donc pas en danger notre système social; ils contribuent même à en assurer son avenir.


La rhétorique de De Wever n’est pas vraiment neuve ni limitée à la Belgique…

En effet, toute société construit une hiérarchisation sociale où certains groupes sont stigmatisés, racialisés. Ces groupes changent, parfois, avec le temps mais la rhétorique reste stable: dans les années '20, les Juifs étaient qualifiés de profiteurs; dans les années '60, ce seront les Italiens taxés de venir chez nous pour toucher la “moutouelle”; puis, ce seront les Marocains qui, dit-on, perçoivent trop d’allocations familiales; et aujourd’hui ce sont les Africains et les réfugiés qui sont accusés, à tort, de mettre en péril notre système social. Dans ce processus, le groupe racialisé n’est pas simplement qualifié de différent, il est surtout infériorisé, minorisé. Les membres sont des “sous-citoyens” à qui on nie la légitimité de leur demande d’égalité de droit, de parole, d’estime. En outre, les descendants de migrants stigmatisés dans le passé reprennent souvent cette rhétorique raciste pour bien se démarquer des nouvelles figures de bouc émissaire, suivant l’adage le dernier ferme la porte.


À propos de descendants de migrants, vous avez répondu dans une carte blanche au ministre italien de l’intérieur Matteo Salvini, parue dans Le Soir, le 19 septembre.

Oui, avec une cinquantaine de collègues migrants ou issus de la 2e génération de migrants italiens, nous avons réagi aux propos de Matteo Salvini disant que son pays n’avait pas besoin de migrants africains mais bien que les Italiens fassent plus d’enfants. Il oublie qu’entre 1946 et 1955, l’Italie a exporté 1,5 millions de travailleurs italiens, en majorité des jeunes, vers la France, l’Allemagne, le Bénélux et la Suisse. Si l’Italie s’est développée économiquement dans les années 60, c’est également parce que l’Italie a exporté une grande partie de sa misère, comme il en est aujourd’hui pour des pays africains. Salvini a répondu à notre carte blanche sur son compte Facebook. Les posts se sont multipliés et très vite, j’ai reçu des insultes, des disqualifications, des intimidations… plutôt que des arguments. C’est difficile aujourd’hui de soutenir une controverse argumentée ou un débat citoyen face à une rhétorique raciste où l’histoire et les faits sont oubliés, voire niés.


De Wever, Salvini, Orban en Hongrie, Trump aux États-Unis… En 2018, les hommes politiques ont-ils libéré la parole raciste?

Dans les années '80, pendant une courte période, des responsables politiques locaux ont eu recours à un discours politique raciste. Aujourd’hui, ce discours politique raciste devient une partie de la communication gouvernementale dans certaines démocraties européennes. Lorsque des politiques relaient des propos racistes, ils les légitiment; ils changent la norme de ce qui est audible et dicible; ils libèrent en effet la parole raciste dans les assemblées, dans les cafés, dans la rue, au travail, etc. Ces discours fonctionnent comme un algorithme de la pensée où migrant égale profiteur ou délinquant. La réalité est bien sûr bien plus complexe. L’Union européenne voulait devenir une société de la connaissance, mais nous plongeons dans une société de l’ignorance, ingrédient indispensable des régimes autoritaires.


Comment immigration et racisme s’articulent-ils?

Le groupe racisé n’est pas nécessairement celui qui migre; les Aborigènes d’Australie ou les Indiens des États-Unis en sont de bons exemples. Nos sociétés sont hiérarchisées: à un moment donné, un groupe dominant contribue à stigmatiser une partie de la population et à lui nier des droits. Le groupe racisé est construit à partir de deux dimensions principales: la première est identitaire - renvoyant aux traits ethniques et culturels; la deuxième fait référence au statut d’infériorité dans la hiérarchie socio-économique. Ainsi, un Polonais employé à la Commission européenne sera qualifié d’expat’ tandis qu’un Polonais qui travaille dans la construction, sera appelé migrant… Là aussi, ce n’est guère neuf: "les pauvres n’ont pas la même manière de vivre et de mourir", écrivait déjà Balzac, contribuant de la sorte à la racisation de la pauvreté.

Rappelez-vous

Mercredi 24 janvier

Bart De Wever, président de la N-VA, publie dans le quotidien flamand de gauche De Morgen, une carte blanche intitulée “La gauche doit choisir entre des frontières ouvertes et l’État providence”. Ses propos violents suscitent de multiples réactions, à chaud.

Tout au long de 2018, le racisme continuera à s’exprimer: propos d’hommes politiques, insultes envers une animatrice de la RTBF, chants racistes lors d’un festival ou d’un match de football, menaces ou agressions en rue… En Belgique, en Italie, aux États-Unis et ailleurs…

Le 19 septembre, emmenés par Andrea Rea (ULB) et Marco Martiniello (ULg), une cinquantaine de chercheurs et professeurs, migrants ou issus de la 2e génération de migrants italiens, réagissent aux propos de Matteo Salvini dans une carte blanche.