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Professeure à la Faculté de Droit et de Criminologie, Anne Lagerwall mène ses recherches au sein du Centre de Droit international et de Sociologie appliquée au droit international. Elle étudie notamment la pratique des États relative à l’interdiction qui leur est faite de recourir à la force militaire en droit international et à leur devoir de ne pas reconnaître les situations résultant de violations de cette interdiction.


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Mai 2018 - Les États-Unis ouvrent leur ambassade à Jérusalem

Anne Lagerwall, Centre de Droit international


Anne Lagerwall, comment expliquez-vous la décision des États-Unis de déplacer leur ambassade à Jérusalem?

Cette décision fait suite à une loi adoptée par le Congrès américain en 1995 et qui stipule que les États-Unis devraient reconnaître Jérusalem dans son ensemble, Est et Ouest, comme étant la capitale d’Israël; et y installer, en toute logique, leur ambassade pour le 31 mai 1999 au plus tard. Mais aucun président des États-Unis n’a jamais appliqué cette loi avant Donald Trump, sous prétexte que cela pouvait mettre en péril les intérêts du pays, une condition qui était d’ailleurs prévue par le texte de la loi elle-même. Tant qu’elle n’était pas appliquée, cette loi ne transgressait pas le droit international. Par contre, sa mise en œuvre le 14 mai 2018, jour du septantième anniversaire de la création de l’État d’Israël, par le président Trump constitue une violation flagrante du droit international.


En quoi cette décision viole-t-elle le droit international?

Le droit international ne détermine pas de statut particulier pour Jérusalem mais, en revanche, il détermine une méthode particulière pour le définir: le statut de Jérusalem ne doit pas être imposé par la force, mais doit être négocié; et s’il y a un recours à la force pour l’imposer, les autres États doivent refuser de reconnaître ce statut. Ce principe a été appliqué à de nombreuses reprises à propos de Jérusalem depuis la création d’Israël.


Expliquez-nous…

En 1967, à la suite de ce qu’on a appelé la guerre des 6 jours qui a permis aux forces israéliennes de prendre le contrôle de Jérusalem-Est, le Conseil de sécurité des Nations Unies a rappelé qu’il était inadmissible de tenter d’acquérir des territoires militairement. En 1980, alors qu’Israël entend réaffirmer sa souveraineté sur Jérusalem, ce même Conseil invite les États qui y ont établi leurs ambassades à les retirer. Enfin, en 2017, après l’annonce par le Président Trump de sa décision de reconnaître Jérusalem comme étant la capitale d’Israël et d’y installer l’ambassade des États-Unis, c’est ce fondement qui pousse l’Assemblée générale des Nations Unies à rappeler aux États leur devoir de s’abstenir d’établir des missions diplomatiques dans la ville sainte.

Ce principe est une obligation fondamentale du droit international, liée à l’interdiction pour les États de recourir à la force militaire: dès lors que la guerre est interdite, il doit logiquement être interdit d’en approuver les résultats. Sinon, on court le risque d’encourager une "politique du fait accompli" par les États les plus puissants militairement.


Comment alors faire respecter le droit international?

Il n’y a pas de police internationale qu’on va pouvoir déployer sur le terrain pour faire respecter le droit international et assurer le retrait de cette ambassade. La force du droit international reste avant tout la force des mots, la force des discours. Ici, par exemple, la Palestine a introduit une instance pour faire condamner les États-Unis devant la Cour internationale de justice (organe judiciaire principal des Nations Unies), dont l’activité est suivie de près par la communauté internationale. Par ailleurs, plus d’une centaine d’États ont fait entendre leur désapprobation et ont maintenu leur ambassade à Tel-Aviv. Les États-Unis se retrouvent donc assez isolés et leurs relations avec la communauté internationale en sont fragilisées.


La désignation de la Palestine à la tête du G77 (groupe des pays en développement) est-elle aussi une manière de marquer son opposition?

En principe, pour présider le groupe des 77, un État doit être membre des Nations Unies. Or, pour le moment, la Palestine n’y a qu’un statut d’observateur. Pour être membre des Nations Unies à part entière, la Palestine devrait être proposée par le Conseil de sécurité au sein duquel les États-Unis disposent d’un droit de veto qu’ils n’hésiteront pas à utiliser. En approuvant le choix de la Palestine pour présider le groupe des 77 et en lui accordant les pouvoirs supplémentaires nécessaires pour assurer celle-ci, l’Assemblée générale montre son soutien à l’État palestinien et à sa volonté de jouer un rôle diplomatique important. Cette présidence constitue en outre une défaite pour les États-Unis et Israël qui ont été quasiment seuls à critiquer cette décision. C’est sans doute une manière pour les États de marquer leur désaccord à la position adoptée par les États-Unis.

Rappelez-vous

Lundi 14 mai

Les États-Unis célèbrent le transfert de leur ambassade à Jérusalem (auparavant à Tel-Aviv), en présence du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, du numéro deux de la diplomatie américaine, John Sullivan, et d’Ivanka Trump, fille et conseillère du président américain. Seuls quelques pays répondent à l’invitation des États-Unis. Les critiques à l’égard du Président Trump fusent.

Au même moment, les tirs de l’armée israélienne contre les milliers de manifestants rassemblés à Gaza le long de la frontière ont fait au moins 58 morts et plus de 1 350 blessés par balles.

En novembre, Jair Bolsonaro, président d’extrême droite, annonce que le Brésil installera également son ambassade à Jérusalem.