Bruno Danis est professeur et chercheur au Laboratoire de Biologie marine de la Faculté des Sciences. Ses recherches se concentrent sur la biodiversité et la biogéographie polaires, l’impact des facteurs de stress sur les écosystèmes et les modélisations informatiques permettant de comprendre comment la biodiversité y répond. Il a participé à plusieurs missions sur le terrain, en Antarctique. La prochaine est prévue en février 2018 dans le cadre de l’expédition Belgica120.
bdanis@ulb.ac.be
Site web: http://biomar.ulb.ac.be/
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Février 2017 - Les abysses polluéesBruno Danis, Laboratoire de Biologie marineBruno Danis, est-ce étonnant de retrouver des polluants d’origine anthropique dans les endroits les plus reculés de la Terre, comme la Fosse des Mariannes? Non, ce n’est pas étonnant. Les PCB sont des polluants persistants dans l’environnement et qui mettent du temps à se dégrader. Ils ont donc plus de "chance" de se répandre dans l’environnement, y compris sur de longues distances. On en a par exemple retrouvé en Arctique. Ce qui est inquiétant, c’est qu’on ne connait pas bien l’effet des polluants – PCB ou autres – sur ces écosystèmes car ceux-ci sont souvent peu connus, peu étudiés et caractérisés. Les contaminants entraînent, en général, des effets au niveau subcellulaire (déstabilisation de l’ADN par exemple), des perturbations hormonales et des impacts sur les processus de reproduction. Mais à ces grandes profondeurs, les processus biologiques se déroulent plus lentement et on pense que la toxicité s’exprime différemment que dans d’autres habitats. Sans les connaissances approfondies de cet environnement, il est impossible de prévoir quel sera l’impact sur ces écosystèmes. Comment ces polluants se retrouvent-ils dans des endroits si reculés? Il y a tout d’abord l’impact des courants marins, qui peut emmener des particules sur de longues distances. Il y a ensuite le comportement du polluant lui-même: les plastiques, par exemple, se dégradent différemment selon leur nature. Certains flottent, certains coulent, certains se dégradent en très fines particules. Enfin, il y a un flux constant de matière organique vers le fond des océans: les animaux marins meurent, coulent, et les polluants éventuellement contenus dans leur corps se répandent dans les profondeurs. Vous l’avez évoqué, le plastique est aussi un problème: les annonces de "continent de plastiques" ou d’animaux ayant ingéré du plastique, par exemple, semblent se multiplier. La présence et l’impact du plastique sur l’environnement est un sujet très médiatisé et qui marque l’opinion publique. De nouveau, on ne sait pas grand-chose sur l’impact concret du plastique sur les écosystèmes des océans. On sait que le plastique agit comme aimant pour toute une série d’autres polluants hydrophobes: l’effet sur les organismes sera-t-il dû au plastique ou aux contaminants associés ou à une combinaison des deux? C’est une vraie question de recherche qui reste malheureusement peu explorée. Lors de notre prochaine mission en Antarctique, nous allons entamer une étude de recensement de la biodiversité marine et nous allons également tenter d’étudier la présence du plastique dans cet environnement, a priori préservé de l’activité humaine – même si on voit que ça reste une notion très relative. Que faudrait-il faire pour limiter ces pollutions? Il n’y a pas de solution miracle: il faut remettre en question notre mode de vie et de consommation et notre rapport à la nature. Pourquoi continue-t-on à produire et consommer du plastique en masse? Pourquoi ne pas appliquer un principe de précaution, plutôt que polluer sans avoir bien conscience des conséquences? Pourquoi n’y a-t-il pas d’accord politique à ce sujet, comme on a pu le voir pour le climat ou le trou dans la couche d’ozone? Sans objectifs politiques concrets, je crains que ce type de pollution ne perdure. En tant que chercheurs, notre devoir est de documenter, de poser le doigt et d’objectiver un problème pour ensuite susciter une réaction. Je déplore pourtant qu’il n’y ait pas de véritable coordination des efforts de recherche sur l’impact du plastique ou d’autres polluants sur l’environnement. C’est pourtant une question importante: les écosystèmes se débrouillent très bien sans l’homme, mais l’homme a besoin de ces écosystèmes pour survivre. Le nombre d'espèces menacées ne cesse de croître: voir infographie à gauche. |
Mercredi 15 février Le monde découvre que la Fosse des Mariannes, l’endroit le plus profond des océans, est souillée par la pollution humaine: des traces de polluants chimiques persistants (PCB et PCBE) ont été retrouvées dans l’organisme de crustacés jusqu’à 10.000 mètres de profondeur.
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