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Santo 2006 : la biodiversité en péril

Si la nature des menaces qui pèsent sur la diversité biologique de la planète est de plus en plus évidente, leur ampleur reste sujette à discussion. Mise sur pied par le Muséum national d'Histoire naturelle de Paris, l'Institut de recherche pour le développement (France) et l'ONG Pro-natura international, l'expédition Santo 2006 avait pour objectif d'inventorier la biodiversité de l'ensemble des écosystèmes d'une île tropicale. Santo a été choisie pour sa dimension raisonnable (4000 km²), l'impact encore modéré et localisé des activités humaines et la présence d'écosystèmes variés, depuis les récifs coralliens jusqu'aux forêts tropicales d'altitude. Plusieurs modules, ont été créés, ciblant notamment la biodiversité marine, celle des milieux terrestres (forêts, montagnes et grottes) ou des eaux douces, ainsi que l'impact d'espèces introduites.

Biodiversité et changements de climat

Le premier but de l'expédition était de dresser un inventaire aussi complet que possible de la flore et de la faune de l'île, afin de mesurer, par l'étude de cette île-témoin, le chemin qui reste à accomplir pour connaître la biodiversité de l'ensemble de la planète. En effet, si certains groupes, tels les oiseaux, ont été presque complètement inventoriés à l'échelle du globe, d'autres, tels les insectes ou les araignées, sont encore largement méconnus et recèlent encore de très nombreuses espèces à découvrir.

Le second objectif était d'établir un " état des lieux " pour rendre possible l'évaluation ultérieure des changements subis par ces écosystèmes. Les récifs coralliens sont en effet particulièrement exposés aux variations du niveau et de la température de l'océan. De même, la succession altitudinale des écosystèmes dans les forêts tropicales de montagne est fort sensible aux modifications du climat. De plus, Santo se trouve dans la zone des cyclones tropicaux. Cette île est donc exposée en première ligne aux conséquences des changements climatiques. L'obtention de relevés extensifs de la faune et de la flore au cours d'une courte période fournira une base de comparaison très précieuse pour l'avenir. Il est en effet indispensable pour mettre en évidence des changements affectant des écosystèmes entiers de disposer d'observations à grande échelle et portant sur un large éventail d'organismes.

Fourmis et termites

Par petits groupes, les chercheurs se sont intéressés à diverses catégories d'organismes (plantes à fleurs, champignons, insectes terrestres ou aquatiques, poissons, reptiles, etc.) Par exemple, le travail de l'équipe dont je faisais partie avec Maurice Leponce (chercheur à l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique), un étudiant en thèse et deux collègues français, a consisté à échantillonner deux groupes d'insectes sociaux particulièrement importants et abondants dans les écosystèmes tropicaux, à savoir les fourmis et les termites. Ces insectes ont fait l'objet de relevés à différentes altitudes par des méthodes standardisées: prélèvements de litière forestière, battage de la végétation, récoltes de bois au sol et en canopée (la strate supérieure des arbres), etc. L'intérêt d'adopter un protocole standardisé est bien entendu de permettre des comparaisons entre écosystèmes différents, mais aussi de pouvoir évaluer dans le temps l'évolution de chaque écosystème en particulier.

Objectifs et moyens

Une telle expédition nécessite des moyens importants, mais possède l'avantage de permettre leur mise en commun et leur utilisation intensive par plusieurs équipes de scientifiques. Alors que les biologistes marins disposaient d'un navire océanographique, les terrestres bénéficiaient d'un camp de base construit spécialement pour l'expédition et d'un support logistique important, incluant des grimpeurs professionnels permettant l'accès aux plantes et animaux de la canopée. De plus, les premiers essais grandeur nature d'un nouvel engin d'accès à la canopée, dénommé " arboglisseur ", ont été effectués.

Des perspectives locales

Une telle expédition n'aurait pu avoir lieu sans le soutien actif des autorités du Vanuatu et des populations locales. L'organisation générale de l'expédition, mais aussi ses perspectives, ont été longuement négociées préalablement avec les autorités du pays. Si l'expédition elle-même, vu son ampleur, a apporté des revenus non négligeables aux populations villageoises, les retombées à plus long terme n'ont pas manqué d'être évoquées. Autant que possible, des cadres et techniciens ni-Vanuatu ont été invités à participer aux activités scientifiques, et des accords ont été conclus afin de poursuivre la formation d'étudiants après la mission. Des engagements ont également été pris pour assurer une diffusion maximale des résultats, notamment à destination des enseignants, et pour constituer des collections de référence destinées aux institutions locales. Une nette prise de conscience par les habitants de l'île de la valeur de leur patrimoine naturel est déjà perceptible, et constitue sans nul doute un aspect très positif de l'expédition.

Yves Roisin
Laboratoire d'Éco-éthologie évolutive, ULB

Entre août et décembre 2006 s'est déroulée sur l'île d'Espiritu Santo, au Vanuatu (Pacifique occidental), une expédition d'ampleur exceptionnelle visant à en inventorier la biodiversité. Près de 160 scientifiques de 25 pays ont échantillonné les écosystèmes de l'île, des fonds marins au sommet des montagnes.



 
  ESPRIT LIBRE > FEVRIER 2007 [ n°46 ]
Université libre de Bruxelles