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esprit libre

[UAE. Nos Anciens, aux quatre coins du Monde...]
 
 
 
Brasília, un regard à 360 degrés

Cela fait à peine trois mois que je vis ici, les idées que je me fais de ce pays sont certainement plus émotionnelles que réfléchies ou basées sur des faits objectifs. Sept années de médecine à l'ULB, sans perdre cette envie " d'aider " mes frères humains d'une manière ou une autre ; puis la course aux spécialités. J'ai trouvé ma place en pédiatrie, par pur intérêt intellectuel d'abord, et puis par plaisir de faire de mon mieux pour la qualité de vie des familles et pour la tolérance que je trouvais plus vraie dans les ailes colorées de nos hôpitaux.

Mais jamais je n'ai oublié ce rêve de petite fille, d'aller soigner le monde avec mon sac à dos ! Entre le désir de me lancer dans une ONG et d'étudier la médecine tropicale, sans avoir nullement le sentiment d'avoir déjà " tout appris " de la pédiatrie après quatre années de spécialité, j'apprends qu'il existe un accord d'échange interuniversitaire entre notre ULB et l'Université de Brasília, maintenu par les responsables respectifs des secteurs de pédiatrie depuis environ 30 ans ! À un an de l'obtention du titre officiel de pédiatre, je décide d'aller apprendre Autre Chose ; médecine " du tiers monde " dans un pays qui n'en fait pas partie, déséquilibres logistiques et de priorités, santé publique à l'échelle d'un continent entier, différences culturelles innombrables...

Un projet en pédiatrie

J'avais eu la chance d'étudier un an à Valence en Espagne, en premier doctorat de médecine, grâce au programme Erasmus. Vie d'étudiante européenne, voyages accessibles, et examens avec un dictionnaire... De là à traverser, seule cette fois, tout un Océan... Soutenue par mes collègues infectiologues ayant déjà vécu l'expérience, nous élaborons un projet de recherche clinique, visant à améliorer la prise en charge et le traitement des pharyngites bactériennes et virales, dans un pays où nos simples " frottis de gorges " sont peu réalisables, les conséquences d'un mauvais traitement peuvent être redoutables mais aussi où il faut craindre les résistances microbiennes aux antibiotiques. Et puis aussi, diminuer la douleur chez l'enfant. J'obtiens alors une bourse de recherche pour soutenir la réalisation de ce projet, via l'asbl " Kids Fundation " et le fond " Thiry ".

Curieuse, voyageuse, dévoreuse d'odeurs et de lumières, j'arrête de réfléchir, achète mon billet aller-simple, entreprends les démarches administratives et termine mes gardes à l'Hôpital St-Pierre avec sous le bras " le Brésilien sans peine ". Et me voilà sur un autre continent, mes amis. Brasília. Vision erronée du Brésil, certainement. Mais le Brésil tout de même. Les contacts sont facilités par une langue accessible, l' " abraço " - même formel - réconforte ma solitude initiale, et la chaleur et l'accueil de mes collègues brésiliens sont inespérés.

Paradoxes et contrastes

La terre est rouge, le ciel menace toujours d'une lourde averse, la végétation tropicale est luxuriante avec ses manguiers chargés de fruits mûrs. Les démarches bureaucratiques sont interminables, je suis directement confrontée aux inégalités sociales intolérables pour nous Européens ; ceux qui ont plus d'argent seront servis mieux et plus rapidement, les autres attendent. La technologie est omniprésente et accessible... à tous les riches. Les meilleures universités sont celles du réseau public et gratuit ; mais pour y accéder, il faut réussir l'examen d'entrée auquel préparent si bien les écoles secondaires privées. La santé est gratuite dans les hôpitaux publics, mais là manquent souvent confort, intimité et ressources.

Combien de fois ai-je envie de donner quelques euros aux familles pour pouvoir soigner leur enfant à la maison ? Et cela malgré la volonté et l'excellent niveau des acteurs universitaires. Le racisme ne devrait pas être dans un pays d'un tel métissage, et pourtant, je remarque des regards différents sur les couleurs et les traditions des peuples indigènes. J'écoute les conseils de mes amies brésiliennes et observe leurs attitudes prudentes, qui m'étonnent toujours, citoyenne bruxelloise, même après avoir aperçu des armes à feu au coin des restos que nous fréquentons habituellement. Et l'on sait que la violence n'est rien ici, en comparaison à Rio, São Paulo ou Recife. Le peuple brésilien attend, avec des opinions très mitigées, de voir les changements promis par le charismatique Lula réélu.

Tant de contrastes, dans un pays de lumière, de sourires, de chaleur, d'allégresse, à l'accueil inégalable. Pourquoi notre monde si malade ne peut pas simplement se laisser emporter par ces airs de Samba ? Alors moi petite Laure, j'apprends une médecine " tropicale ", une nouvelle langue si charmeuse, une culture tellement autre ; je vois des réalités qu'on voudrait ne pas savoir, je deviens plus " brésilienne " chaque jour et j'appréhende déjà mon retour... Mais ce que je sais, c'est que le jeu en vaut la peine, que j'en reviendrai plus grande, plus forte, plus riche, plus chaleureuse et j'espère, encore plus tolérante.

Laure Joachim


Les nuages sont menaçants depuis plusieurs mois sur Brasília ; climat tropical, températures charmeuses, pluies de moussons estivales, éclaircies prometteuses et couchers de soleil uniques. Les nuages sont menaçants, mais la vue reste imprenable, à trois cent soixante degrés sur la " nouvelle " capitale du Brésil et du District fédéral. Une vue imprenable, depuis cette ville construite sur un idéal urbanistique utopiste, et pourtant, sur un pays de tant de contrastes, de beautés, de rythmes, d'allégresses et d'injustices.



 
  ESPRIT LIBRE > FEVRIER 2007 [ n°46 ]
Université libre de Bruxelles