[page précédente]    [sommaire]    [page suivante]  
esprit libre

[portrait]
 
 
 
Jeanne Tridon La kiné, le cerveau et les chemins de traverse

Esprit libre : Vous êtes originaire de Verdun, haut lieu de la guerre 14-18, qui a occasionné son lot de blessés de guerre et de personnes handicapées à vie ; notamment au niveau des voies respiratoires... Consciemment ou inconsciemment, cela a-t-il influencé votre choix d'études ?
Jeanne Tridon : C'est une bonne question ! Mais à vrai dire, je ne le pense pas. Au départ, je voulais pratiquer la kiné en milieu sportif. Les stages effectués en Neurologie et en Pneumologie m'ont incitée à développer un mémoire consacré à l'entraînement respiratoire chez des enfants infirmes moteurs cérébraux. J'ai d'ailleurs passé une année au Centre Fraiteur avec des enfants souffrant de cette affection pour mener à bien mon mémoire. On peut donc parler de hasard des rencontres... De belles rencontres !

Esprit libre : Et pourquoi la kiné sportive, à la base ?
Jeanne Tridon : Mes quatre frères sont rugbymen. Plus d'une fois, je les ai vu blessés et de ce fait en rééducation. Ayant d'abord tenté les concours d'admission en France, j'ai finalement choisi de prendre mon bagage comme de nombreux Français et de venir poursuivre mes études chez vous...

Esprit libre : Qu'est-ce qui vous a plu dans vos études à l'ULB ?
Jeanne Tridon : J'ai attrapé le virus de la Belgique, et j'ai découvert un système universitaire épanouissant : des étudiants issus de cultures très différentes qui se côtoient, des études à la fois intellectuelles et sportives... Et beaucoup moins de compétition entre les étudiants qu'Outre-Quiévrain. Sans oublier l'esprit de la guindaille, unique à l'ULB et en Belgique en général (rires) !

Esprit libre : Vous avez travaillé dans différents services de revalidation neurologique, notamment à Erasme. Et depuis 2000, au centre hospitalier d'Ixelles-Etterbeek. Quel est votre rôle ?
Jeanne Tridon : Aïcha El Bali et moi prenons en charge des personnes en phase aigue qui sont hospitalisées suite à un accident vasculaire cérébral ou à cause d'une dégénérescence neurologique due à une pathologie du type Alzeihmer, Parkinson, sclérose en plaque, etc. Par ailleurs, nous proposons des séances de kiné à des personnes non hospitalisées. C'est un travail de longue haleine, ou le relationnel prend une place importante, et qui demande un investissement personnel énorme. Pour avancer avec ces patients, pour arriver à trouver ce qui va leur procurer un petit plus dans leur vie quotidienne, il faut immanquablement tisser une relation intense avec eux...

Esprit libre : ...Et c'est dans le cadre de ce travail que vous avez reçu le Prix Van Goethem-Brichant 2005. En quoi consiste votre projet ?
Jeanne Tridon : Il s'agit d'aider des patients hémiparétiques, c'est-à-dire dont la moitié du corps fonctionne avec de multiples difficultés, suite notamment à des accidents cérébraux. Aïcha et moi-même avons introduit une demande d'aide auprès de la Fondation pour mettre en place un entraînement spécifique de type cardio-respiratoire. Nous avons pris connaissance de ce type d'entraînement au cours des formations auxquelles nous avons participé avec Ralph Delire. Il s'agit notamment d'acquérir un tapis roulant et un vélo assis. La mise à l'effort des patients hémiparétiques via ce type d'exercices est une méthodologie récente, elle a déjà fait ses preuves. Nous tentons donc de le mettre en place, en travaillant notamment avec les autres équipes du centre hospitalier. Nos moyens étant très relatifs, ce prix permettra d'acquérir une partie du matériel nécessaire.

Esprit libre : On connaît mal ce type de handicap...
Jeanne Tridon : Il est malheureusement souvent confondu par beaucoup avec un handicap mental. Par ailleurs, la démarche d'un hémiparétique peut parfois être injustement assimilée à celle d'une personne ayant abusé de substances alcoolisées ou illicites, pour certains. Le handicap fait bien souvent peur : les amalgames et les préjugés sont donc encore tenaces, par manque d'information sans doute. Il nous faut dès lors mieux informer ; à commencer par les familles.

Esprit libre : Y a-t-il des rémissions ?
Jeanne Tridon : Le cerveau essaye de prendre des chemins de traverse pour contourner le problème d'une zone mise " hors service " par un accident et qui ne récupérera pas. On parle de " plasticité cérébrale " : le cerveau peut recruter des zones inexploitées en y greffant les fonctions perdues lors du traumatisme. Certaines capacités peuvent donc réapparaître mais différemment.

Esprit libre : Votre projet n'est pas que médical...
Jeanne Tridon : L'objectif sous-jacent à notre action est de sortir ces personnes du milieu purement médical en leur permettant de retrouver des activités sportives et sociales " traditionnelles ". Un de mes patients envisage d'aller marcher à travers les contreforts de l'Himalaya... Un beau défi pour lui !

Esprit libre : En dehors de votre travail, vous avez des passions ?
Jeanne Tridon : Le sport, évidemment ! Il permet de se défouler, d'évacuer le stress, ce qui fait du bien dans ce type de travail. Je comprends d'autant mieux les frustrations de mes patients à cet égard.

Alain Dauchot


Elle est grande, sportive, volontaire. Le regard est bleu, le sourire généreux. Elle est une des quatre lauréats, avec sa collègue Aïcha El Bali, du Prix 2005 de la Fondation Van Goethem-Brichant. Ce Prix récompense des projets d'aide aux personnes handicapées. Jeanne Tridon, tout comme Aïcha El Bali, est titulaire d'une licence en kinésithérapie et réadaptation de l'Université libre de Bruxelles. Leur projet : proposer aux patients hémiparétiques une revalidation spécifique.



 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2006 [ n°38 ]
Université libre de Bruxelles