Mai 1968 : cela vous dit quelque chose ?
" Il faudrait pour décrire ce que fut l'Assemblée libre, écrit Marcel Liebman, et pour tenter d'en saisir la nature, le concours
de spécialistes de la sociologie, de la psychologie et de la science politique ; il faudrait aussi et surtout le témoignage
de ceux qui ont participé à cette expérience qui tenait tout à la fois de l'entreprise politique, du psychodrame et de la
fête. "
Il situe ce mouvement dans la mouvance de " la gauche ".
Ce fut aussi continue-t-il " la fête de la liberté
; la liberté fut considérée comme un mode d'action, comme une raison
d'être plus encore que comme une forme de devenir ". Rejetant toute forme d'organisation, d'ordre, de finalité, " l'Assemblée
libre ne fut pas une entreprise, plutôt une aventure ". Toute tentative de stratégie semble s'être heurtée à une considérable
force d'inertie.
" Un tel enthousiasme, une telle disponibilité pour la discussion et une telle sérénité en sont cependant possibles que dans
des moments d'exception, instants privilégiés où la victoire entraîne un sentiment de confiance et de ferveur.
Qu 'en reste-t-il aujourd'hui ? Une menace selon les uns pour qui son pouvoir libérateur n'a jamais été qu'une force destructrice,
négativiste et pernicieuse. Pour d'autres un souvenir. Celui de quelques journées où l'extraordinaire devenait quotidien
L'Assemblée
libre a gardé sa puissance. Les craintes qu'elle a inspirées peuvent être salutaires ; les nostalgies peuvent demain s'animer
et se remettre en mouvement ; les espoirs qu'elle a suscités reprendre vie et reculer les limites que le réalisme impose à
la sagesse et que l'audace déplace inlassablement ".
Un étudiant de Solvay, Jean Louis Danis écrit plus loin :
" Cinquante ans d'immobilisme avaient épaissi l'écorce de notre université. "
Il parle de volcans en éruption aux mois de mai et juin et conseille de les ramoner pour les entretenir.
" Le premier s'appelle l'Assemblée libre ; ce fut le plus violent dans les destructions qu'il causa et le plus remarqué dans
les réactions qu'il amena. Par la réforme du rôle social et culturel de l'Université, l'Assemblée libre espérait réveiller
la société bourgeoise pourrie par la consommation et la mettre devant l'alternative de disparaître ou de se rénover dans un
élan multidimensionnel, grâce à Mao, Marx et Mercure. Elle avait pour but, par la biais de l'anarchie- celle de Bakounine
plus que de Proudhon- de supprimer toute hiérarchie à l'université, et par conséquent le conseil d'administration (de notables
à l'époque, rappelons-le NDR), afin de le remplacer par une assemblée libre permanente
en relation avec une société amenée
elle aussi à la démocratie directe. "
Cette assemblée, malgré son succès de sympathie, séduisante par son utopie même, s'éteint d'elle même et ouvre la porte au
mouvement réformateur de modérés préparant à long terme une réforme des structures de l'université.
Jean Vanwelkenhuizen retrace la chronologie des assemblées libres et la montée des revendications. Il écrit : " La contestation
est prisonnière du formalisme à rebours qu 'elle a institué par refus d'une organisation responsable. Férue de démocratie
directe, l'assemblée libre sombre dans une anarchie verbeuse
mais son agonie durera un long mois. " Il qualifie ces semaines
" d'énervantes " et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'a pas éprouvé de sympathie pour le mouvement.
Enfin, Serge Lévy fait un plaidoyer pour la coordination étroite entre un syndicalisme étudiant et le syndicalisme ouvrier.
Il fustige la " comitardise , phénomène particulièrement néfaste " et souhaite la poursuite d'assemblées libres
Michel Vanden Abeele, dans une analyse des mouvements étudiants à l'ULB de 1960 à 1968, y constate la difficulté de représentativité
continue des organisations étudiantes (parce que l'université reste un endroit de passage pour les étudiants) et l'échec du
dialogue avec les autorités. Il écrit : " Un aspect particulier des mouvements étudiants de l'ULB est ce phénomène d'alternance
entre la domination d'une tendance libérale et conservatrice et celle d'une fraction " de gauche ". Si ce phénomène implique
la succession désordonnée des équipes responsables, il a le mérite d'être un facteur démocratique
Cependant, les groupes d'étudiants " conservateurs ", ( les cercles NDR), en sont arrivés (après les assemblées libres) à
demander ce que les progressistes exigeaient depuis quatre ans. Cette évolution des idées montre l'urgence qu'il y a à rénover
et à réformer l'université "
I Devooght remarque : " Les membres de la communauté universitaire se rangent grosso modo en quatre catégories : ceux pour
qui la contestation universitaire n'est qu'un premier pas sur la voie d'une contestation globale de la société ; ceux qui
estiment que la rénovation universitaire constitue un problème qui doit être résolu indépendamment de la transformation, nécessaire
ou non, de la société ; ceux qui estiment que l'université doit s'adapter aux exigences de notre société et en acceptent donc
les conséquences ; et enfin les partisans du statu quo. La seconde et la troisième catégorie groupent vraisemblablement la
très grande majorité de cette communauté universitaire, mais les deux autres, par la place qu'elles occupent dans les esprits,
contribuent à entretenir une atmosphère de méfiance réciproque
La nécessité devant laquelle nous sommes tous de procéder à des réformes qui sont avant tout des mutations dans nos rapports
sociaux et dans nos esprits peut rendre un service immense à la cause du libre examen, non en tant que principe abstrait mais
en tant que réalité et pratique quotidienne ".
Ce sera le mot de la fin.
Michette Mardulyn Secrétaire Générale de l'UAE
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