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esprit libre

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Dernières élections à 15 étoiles

Les élections du 13 juin 2004

Retour aux urnes pour des élections régionales et européennes. L'Europe se conjuguera désormais à 25 : quels sont les enjeux électoraux décisifs pour notre Vieux continent ? Côté régions, c'est incontestablement vers le Nord du pays que les regards se tourneront, avec une inquiétude particulière sur le potentiel de nuisance du Vlaams Blok, tant en Flandre qu'à Bruxelles.

Esprit Libre : Le 13 juin, en plus des élections régionales, la Belgique sera appelée aux urnes pour les élections européennes...
Paul Magnette : Exactement. Chez nous, les Belges résidant au royaume ou à l'étranger seront concernés, ainsi que les Européens souhaitant exercer leur droit de vote. Ensemble, ces citoyens vont élire au suffrage universel direct - au sein des collèges électoraux français, néerlandais et germanophone - 24 députés belges qui iront siéger parmi les 732 députés du Parlement européen, où chaque État de l'Union européenne se voit représenté en fonction de sa démographie. Pour l'expression du suffrage, les pays fixent eux-mêmes leurs circonscriptions et décident des règles d'organisation du scrutin. Cette année, nous observerons 25 élections nationales simultanées. Ces élections ont lieu tous les 5 ans, et, chez nous, elles sont couplées aux régionales. Le principal avantage étant de ne pas trop perturber l'activité politique en cours de législature. À contrario, les élections régionales font incontestablement de l'ombre aux européennes. Le monde politique considère souvent ces dernières comme moins importantes car moins proches et moins concrètes.

Esprit Libre : D'où une approche parfois différente...
Paul Magnette : L'engouement du public n'est effectivement pas le même. Peut-être parce que les élections européennes sont moins personnifiées que les autres. À ce titre, si certains ténors politiques faisaient le choix de " dédier " une phase de leur carrière à l'Europe, le Parlement gagnerait en lisibilité et cela populariserait les enjeux européens. Or, pour le moment, elles restent des élections de second ordre.

Esprit Libre : Le visage politique européen risque-t-il de changer ?
Paul Magnette : On peut difficilement tirer des tendances générales car les résultats peuvent être contrastés d'un pays à l'autre. Cependant, certaines tendances générales émergent. Les électeurs utilisent souvent les européennes comme défouloir, en s'exprimant par un vote plus contestataire voire même " sanction ", afin d'afficher un mécontentement face au gouvernement en place. Cela accentue évidemment l'éclatement de la représentation politique, parfois fortement comme en France ou en Italie. Toutefois, le Parlement européen reflète correctement, dans sa globalité, la réalité politique du moment. Actuellement, certaines tensions apparaissent néanmoins à droite. Dans une stratégie de regroupement afin de devenir le groupe majoritaire, la droite - démocrate chrétienne à l'origine -, s'est étendue aux conservateurs britanniques, aux Gaullistes, aux Berlusconiens. Aujourd'hui, une frange de la droite, centriste et pro-européenne, ne se reconnaît plus dans cet ensemble et cherche une autre voie. Une scission n'est pas à exclure.

Esprit Libre : Que peut-on attendre de la politique étrangère ou de l'économie ?
Paul Magnette : Les élections ont un effet très indirect sur les politiques car le pouvoir de décision reste, dans une grande mesure, au sein du Conseil des ministres de l'Union. Là aussi, quelques tendances générales se dessinent néanmoins. On sent, par exemple, un affaiblissement des divergences entre les clans pro ou anti guerre en Irak, au profit d'un sentiment européen fort. En ce qui concerne l'économie, il faut garder à l'esprit que les élections européennes ne débouchent pas sur la constitution d'un gouvernement défendant un programme. Le Parlement s'apparente beaucoup plus au Congrès américain, un organe législatif fluide. Et même si une majorité politique se dessinait plus nettement au Parlement, celui-ci devrait encore composer avec le Conseil des ministres qui représente les gouvernements. On ne peut donc pas imaginer de réformes radicales et brutales. Dans un système fédéral, les réformes sont toujours lentes, graduelles et peu spectaculaires.

Esprit Libre : On parle également beaucoup de l'élargissement incessant de l'Europe...
Paul Magnette : Il paraît de plus en plus probable que l'on décide en décembre 2004 d'ouvrir les négociations avec la Turquie. Beaucoup d'arguments plaident en faveur de cet élargissement mais à un moment, l'Union européenne devra se poser la question de la frontière orientale. Tant que cette question des frontières n'aura pas été résolue, l'Union éprouvera beaucoup de mal à se stabiliser. Les États-Unis ne sont devenus une nation et une puissance qu'après avoir achevé la conquête de l'Ouest. L'Europe ne deviendra pas un État fédéral mais elle restera en crise existentielle tant qu'elle n'aura pas fixé sa frontière orientale. Par ailleurs, la proposition de présidence unique faite par Valéry Giscard d'Estaing, président actuel du Conseil, pourrait amener un peu de stabilité et de coordination, car continuer une présidence tournante à 25 semble illusoire.

Laurent Cortvrindt


Élargissement à 25 pays membres, nouvel horizon politique, avenir de l'économie, proposition de présidence unique... Les chantiers ne manquent pas pour les députés, ministres et commissaires de l'Union européenne. Devant tant d'enjeux décisifs pour l'avenir de notre Vieux continent, ces " autres élections " du 13 juin prennent une saveur particulière. Paul Magnette, directeur de l'Institut d'études européennes de l'ULB, nous livre ses impressions.



 
  ESPRIT LIBRE > MAI 2004 [ n°22 ]
Université libre de Bruxelles