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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
Sphère privée, sphère publique

Évitons le piège du relativisme qui met sur un même pied d'intensité, de densité historique et sociale (voire sociétale) des attentats, des conflits armés majeurs, une catastrophe naturelle et le décès d'un acteur de la scène politique et philosophique mondialisée. Tout n'est pas de même nature au regard de l'histoire : il faut que les médias - de l'immédiat - le disent et mettent en garde. Mais à rappeler que l'histoire - à long terme - aura ses droits, il ne faut pas - a contrario - souhaiter que la presse fasse l'impasse ou atténue la portée ou l'existence-même d'un fait de société.

Là où la presse fait défaut, est interdite d'accès et de travail libre, là où le silence règne il n'y a, par nature, aucune transparence démocratique. Même l'émotion du tsunami (légitime à tout bien compter) permet de relever que la zone de Banda Aceh est une zone de guérilla oubliée, inaccessible, pour le moins peu transparente. Même le 11 septembre permet, dans l'émotion, de ne pas oublier très vite de mettre en garde, de relever les risques de dérives identitaires, de repli sur soi, de diabolisation, d'atteintes aux droits et libertés privées, etc.

Le Vatican sous les projecteurs

Et à n'en pas douter, la mort du pape Jean-Paul II et l'accession au pontificat de son successeur (avec ce que cela comporte d'éléments révélateurs des tendances d'une église mondialisée) sont des événements de portée historique. On peut regretter, en tant que laïque, qu'une église - quelle qu'elle soit - ait encore à l'heure actuelle autant d'emprise sur les consciences des populations. Mais force est de ne pas négliger que cette " nouvelle évangélisation " pose question dans son taux - réel ! - de réussite à l'échelle du monde. En proportion, certes, inverse des tendances de nos sociétés occidentales et européennes (y compris de l'Est).

Force est aux médias d'en parler ; de pouvoir dire aussi - et c'est la force et l'honneur, je le dis, d'une radio de service public comme la Première de la RTBF, d'avoir dès les premières minutes rappelé les paradoxes d'un long pontificat marqué, par exemple, aussi bien des excuses sur le passé compromettant et coupable de la catholicité romaine à l'égard des mondes juifs que d'un assourdissant silence sur les mains rouges de sang d'un clergé catholique rwandais en partie génocidaire ; qu'il y a paradoxe encore entre un discours dogmatique coupable sur les éléments de contraception, d'avortement, de prévention du sida, etc., et l'attrait sur les masses de jeunes des JMJ.

Puis il faut savoir qu'ayant dit cela qui parle du poids médiatique et sociétal de l'événement (qu'il heurte ou non nos convictions), il faut encore considérer qu'il s'agit peut-être de relever que ce sont des journalistes (et non plus des chroniqueurs religieux) qui sur les antennes publiques (en radio à 100 %) ont analysé ces infos, ces données ; que laïques, confessions et tendances catholiques alternatives ont eu parole visible, audible et très rapide.

Expliquer, pas communier

Dire encore que si l'on en parle dans chaque édition radio c'est parce que, sur la journée, des éditions sont reprises sur d'autres chaînes radios qui n'en ont pas encore, à ce moment-là, " entendu parler " ; que la Première, en tant que chaîne de l'info en continuité, assure un rôle d'infos à disposition pour l'auditeur qui n'est pas en permanence " branché " ; que les diverses plages de débats ou d'analyses avec invités qui entourent les journaux ont expliqué les rites et les tendances décrites plus haut avec détail parce qu'il y a aussi à développer une meilleure connaissance de chaque courant dans une société dite du " vivre ensemble ".

Et si cela a paru " trop papiste " aux laïques que nous sommes, sachons être cohérents : nous n'avons jamais obtenu l'éradication des religions ou cultes reconnus, nous n'avons jamais obtenu (ni vraiment milité !) pour que le recensement cultuel et son corollaire financier des dotations soit mis en place, nous n'avons même pas obtenu la neutralisation statutaire des chaînes d'infos publiques. Nous y avons " simplement " exigé notre place, laïque, sur les modèles cultuels : reconnus comme eux, subsidiés comme eux, présents comme eux sur les antennes " concédées " de la RTBF ou de la VRT.

C'est un fait, plus qu'une info !

Eddy Caekelberghs
Journaliste RTBF

En a-t-on fait trop le 11 septembre 2001 ? Ensuite sur les enjeux des attentats de New York et Washington ? Trop sur l'Afghanistan et l'Irak ? Sur le conflit israélo-palestinien ? Trop sur le tsunami ? Ou beaucoup trop à propos de la mort et de la succession d'un pape ? Trop en général ? Trop dans certains médias ? Trop d'événementiel, de sensationnel, de vécu humain et pas assez d'analyse, de mise en perspective, de critique historique ? Les avis - et la réalité ! - sont bien entendu plus complexes qu'il n'y paraît au premier abord.



 
  ESPRIT LIBRE > JUIN 2005 [ n°32 ]
Université libre de Bruxelles