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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
Elephant Man : l'enfer de la différence

Esprit libre : Dans l'exposition que vous consacrez à Joseph Merrick, les reconstitutions d'époque sont particulièrement impressionnantes...
Diana Gasparon : Nous avons voulu faire prendre conscience aux visiteurs de la manière dont la médecine et l'accueil des malades a évolué en un siècle. Et aussi les faire réfléchir sur les progrès qu'il reste à réaliser en matière d'accueil et d'intégration. Car je ne suis pas certaine que si Joseph Merrick montait aujourd'hui à bord d'un autobus ou participait à une réception mondaine, il serait reçu comme tout le monde !

Esprit libre : Il n'y aurait donc eu aucun progrès depuis l'époque de la reine Victoria ?
Diana Gasparon : Au contraire, les progrès scientifiques et humains ont été énormes. Aujourd'hui, Joseph Merrick serait accueilli dans une institution spécialisée, traité et soigné par une équipe multidisciplinaire associant dermatologue, plasticien, neurochirurgien, orthopédiste, rhumatologue ou encore angiologue. Et il bénéficierait d'un tout autre confort que les patients du XIXe siècle : nous montrons d'ailleurs ce qu'était l'univers médical de l'époque, avec sa salle de soins souvent confondue avec la salle d'opérations, ses tables de chirurgie, des outils barbares et son hygiène déplorable, sans compter le manque d'anesthésie (whisky + drogue, ce n'est pas ce qu'on peut appeler une posologie rassurante !). Quand le visiteur compare avec aujourd'hui, il découvre un monde de différences. Cependant, pour en revenir à " Elephant Man ", il est vrai que celui-ci continuerait à être regardé comme un phénomène et à souffrir moralement et physiquement.

Esprit libre : Ce type de maladie existe donc toujours ?
Diana Gasparon : Malheureusement oui. Le syndrome de Protée commence à déformer le corps deux à cinq ans après la naissance, et il n'existe pas encore de traitement particulier permettant d'éviter son développement. On ne peut intervenir qu'au fur et à mesure.

Esprit libre : Comment sortir du simple constat pour le faire partager au visiteur ?
Diana Gasparon : Justement, en lui montrant concrètement ce qu'un handicap change dans la vie de tous les jours. Des animations interactives avec des membres difformes à " enfiler " sont à la disposition des visiteurs et le propulsent dans la peau du personnage. Ils expérimentent ce que signifie l'obligation d'utiliser les objets de tous les jours avec une seule main, de se déplacer avec les hanches et les pieds déformés, ou encore de manger et de lire quand on est victime d'handicaps.

Esprit libre :
Diana Gasparon : Pour la scénographie, nous avons bénéficié de l'aide active du Musée d'art fantastique de Bruxelles, du Théâtre des galeries et du Centre culturel d'Anderlecht. Et pour la partie scientifique, le professeur Stéphane Louryan, spécialiste en anatomie et imagerie médicale, le docteur Jean Goens, dermatologue, auteur de " Loups-garous, vampires et autres monstres ", nous ont apporté leurs lumières, de même que le Réseau des musées de l'ULB, l'Hôpital Notre-Dame de la Rose de Lessines et le DES en Gestion culturelle de l'ULB. Nous proposons également deux autres sections, consacrées à la littérature et au 7e art qui ont contribué au mythe d'Elephant Man. On assistera à des projections, et on pourra découvrir les romans et pièces de théâtre inspirés par la vie de Joseph Merrick. Sans oublier le concours d'un remarquable dessinateur : David P. qui nous permet de proposer à chaque visiteur une brochure catalogue richement illustrée retraçant la vie de Joseph Merrick et abordant le thème de la " tératologie ", c'est-à-dire l'étude des malformations chez les êtres vivants.

Pierre Efratas


Du 15 septembre au 30 décembre prochain, le Musée de la Médecine nous fait découvrir la vie de Joseph Merrick, alias " Elephant Man ", atteint pour son malheur du syndrome de Protée et qui, pour gagner sa vie, fut obligé de s'exhiber en monstre de foire. Une visite saisissante dans les rues et les hôpitaux de Londres au XIXe siècle avec cette question lancinante : quand on n'est pas comme les autres, que devient-on en ce début de millénaire triomphant ? Que peut la médecine ? Quelque chose a-t-il changé depuis un siècle ? Rencontre avec Diana Gasparon, directrice adjointe du Musée de la médecine et organisatrice de cette étonnante exposition-événement.



Dans la peau d'un difforme
On passe la porte, et on change d'époque. Nous voici au coeur de Londres, dans le " smog " et le bruit obsédant des machines à vapeur qui blessent, qui brûlent, qui mutilent. Taudis insalubres, eau polluée : la rue offre un spectacle d'autant plus impressionnant que nous frôlent les ombres de Jack l'éventreur et de Sherlock Holmes. Et puis soudain, une tenture, un spectacle : le " Freak Show " nous présente des pas-comme-nous, des difformes, des " monstres ". Et aussi un certain " Elephant Man ", un jeune homme horriblement déformé par une maladie invalidante. C'est l'histoire de Joseph Merrick, et à travers lui, celle de la médecine et de notre regard sur l'Autre, celui qui ne nous ressemble pas. Une expo qui nous invite justement à nous mettre dans la peau de cet Autre.

En pratique
Du 15 septembre au 30 décembre 2006 au Musée de la médecine, campus Erasme, 808 route de Lennik à Anderlecht. Ouverture du mardi au dimanche de 13h à 17h. Visites guidées en français, néerlandais et anglais. Soirées ciné-club avec projection d'Elephant Man, le film de David Lynch. Prix d'entrée : écoles, étudiants membres de l'ULB : 3 euros - Adultes : 5 euros.

http:// www.ulb.ac.be/musees/medecine

 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2006 [ n°42 ]
Université libre de Bruxelles