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Neurosciences : la magie du cortex cérébral

" Le cortex cérébral est une structure un peu magique ", souligne, amusé, Pierre Vanderhaeghen. Chercheur qualifié au FNRS, il dirige depuis 2001 une équipe au sein de l'IRIBHM, Institut de recherches interdisciplinaires en biologie humaine et moléculaire sur le campus Erasme de l'ULB. Avec le soutien notamment de la Fondation médicale Reine Élisabeth - il a reçu cet été l'UCB Award 2006, soit quelque 25.000 euros -, il étudie donc cette " structure magique " qu'est le cortex. Structure la plus évoluée et la plus importante du cerveau humain, le cortex cérébral n'est présent que chez les mammifères, l'homme en possédant la version la plus grande et la plus sophistiquée.

Le fonctionnement correct de notre cerveau dépend, on le sait, du nombre de ses neurones et de la qualité de ses réseaux neuronaux. Très tôt dans le développement, le cortex se structure : différentes aires fonctionnelles (plusieurs dizaines chez l'homme) se mettent alors en place à sa surface, chacune étant dédiée à une fonction particulière de notre cerveau - vision, motricité, langage, etc. Différentes maladies telles que l'épilepsie, des retards mentaux ou la schizophrénie sont liées (en tout ou en partie) à des anomalies de ce développement. D'où l'intérêt immédiat d'en savoir plus sur ce cortex avec, pour Pierre Vanderhaeghen et ses collègues, une double question : quels sont les mécanismes du développement cortical et quels sont les gènes impliqués ?

Bien se connecter

Chaque aire corticale est dédiée à une fonction particulière, les neurones qui la composent se connectant spécifiquement selon la fonction remplie. En d'autres mots, organisés topographiquement, les neurones se distribuent les tâches selon l'endroit précis où ils se trouvent. Le constat appelle aussitôt une question : quels sont les facteurs qui influencent cette mise en place des neurones ? Pour trouver la réponse, l'équipe de l'IRIBHM s'est intéressée aux gènes codant pour les facteurs de guidage, c'est-à-dire chargés de transmettre un message de guidage - schématiquement : " Approchez-vous, éloignez-vous " - aux neurones. Via le modèle animal (la souris), ils ont ainsi démontré le rôle-clef de certains facteurs de guidage appelés " éphrines " dans la mise en place topographique du cortex. En l'absence des éphrines, les neurones se trompent de chemin ou de cible, et de ce fait les réseaux neuronaux se forment de façon aberrante. Avec quelles conséquences ? Les recherches sont en cours mais on constate déjà que les souris invalidées présentent des distorsions de la perception ou des troubles de la motricité... D'où une nouvelle question d'importance : des maladies neurologiques humaines peuvent-elles être liées à certains gènes codant pour les facteurs de guidage ?

Des signaux de mort

Mais les éphrines ne sont pas que des signaux de guidage, les chercheurs l'ont également découvert. En surexprimant un gène d'éphrine au début du développement, on obtient une souris dont le cortex cérébral est beaucoup trop petit. À l'inverse, des souris qui ont trop peu d'éphrines, développent un cortex plus grand qu'à l'ordinaire. L'explication ? En réalité, l'éphrine possède, en début de développement, une fonction qu'elle perdra ensuite : elle commande la mort cellulaire par apoptose. Ce message " tu dois mourir " que l'éphrine transmet aux cellules intéresse les chercheurs notamment en cancérologie : on sait que nombre de cancers se développent alors que le mécanisme de l'apoptose cellulaire s'enraie. Les perspectives médicales sont donc prometteuses, les recherches se poursuivent...

Des cellules-souches aux réseaux neuronaux

Enfin, dernière question majeure pour l'équipe de Pierre Vanderhaeghen : est-il possible d'appliquer nos connaissances du développement normal afin de générer artificiellement, par " ingénierie cellulaire ", des neurones du cortex cérébral ?
L'équipe teste cette possibilité via l'étude des cellules-souches embryonnaires : ces cellules - par ailleurs très médiatisées - sont dérivées de l'embryon très précoce et sont " totipotentes ", c'est-à-dire capables de générer tous les types cellulaires possibles, à condition de leur " parler " correctement. Les chercheurs parviennent ainsi à générer des neurones typiques du cortex à partir de cellules-souches de souris. En collaboration avec le Laboratoire de recherches en reproduction humaine (ULB, Pr.Y. Englert), ils tentent maintenant d'appliquer ces techniques à des cellules-souches embryonnaires humaines. En effet, la faculté de générer au laboratoire des neurones humains " à la carte " constituerait un outil précieux dans l'étude de maladies neurologiques comme la maladie d'Alzheimer ou de Huntington, pour lesquelles les modèles animaux restent imparfaits. Et à plus long terme, on peut envisager des perspectives nouvelles de thérapies cellulaires permettant un jour, peut-être, de régénérer le cerveau lésé. Déjà se dessine une nouvelle génération des neurosciences...

Nathalie Gobbe


Pierre Vanderhaeghen, chercheur qualifié au FNRS, a reçu l'UCB Award 2006 pour la recherche en neurosciences de la Fondation médicale Reine Élisabeth. Une reconnaissance pour ses travaux sur le développement du cortex cérébral menés au sein de l'IRIBHM - Faculté de médecine de l'ULB.



 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2006 [ n°42 ]
Université libre de Bruxelles