Une ville-laboratoire, un moment-charnière dans l'Histoire
Esprit Libre : " Bruxelles 14-18. Au jour le jour, une ville en guerre ", l'exposition proposée à l'Hôtel de ville de Bruxelles, fait la
part belle au vécu des civils. Pourquoi ?
Valérie Piette : Aux USA, en Grande-Bretagne, en France, en Belgique, une nouvelle approche historique se fait jour : elle met en lumière les
blessés, les civils, les enfants, ces " oubliés " de la Grande guerre. De nombreux étudiants en histoire contemporaine de
l'ULB ont participé à des recherches sur 14-18 dans le cadre de séminaires, avec la volonté d'aborder cette guerre sous des
angles nouveaux : l'histoire des tontes de femmes, les " mythes " de 14-18, les déportées, etc. Plusieurs thèses de doctorat
ont été entreprises. Tout cela a abouti à un colloque en 2003. L'idée de l'expo a suivi.
Serge Jaumain : Ce premier grand colloque international nous a permis de rassembler à l'ULB des historiens anglais, allemands, français, américains.
Il nous a ensuite paru important de diffuser vers le grand public le fruit de ces nouvelles recherches. Par ailleurs, les
Archives de la Ville venaient de reclasser des milliers de caricatures extraordinaires de cette époque, appartenant à la collection
Keym. On avait donc là, matière à une collaboration fructueuse entre le CIRHIBRU, des professeurs de l'ULB et les Archives
de la ville de Bruxelles. Je dois également souligner le rôle de Didier Devriese (Archives de l'ULB) et de François Frédéric
(Bibliothèques de l'ULB) dont l'expertise en matière muséologique nous a été très utile.
Esprit Libre : Et pourquoi Bruxelles ?
Valérie Piette : Bruxelles est la plus grande ville occidentale qui sera occupée. C'est un véritable laboratoire : l'économie est en grande
partie paralysée, tout s'arrête... Les gens vont devoir survivre. On voit apparaître les ersatzs alimentaires, le marché noir,
la débrouille pour se chauffer, s'habiller... Et, pour la première fois, un vaste mouvement de solidarité internationale voit
le jour pour venir en aide à la population.
Esprit Libre : Les caricatures de la collection Keym ne manquent pas de piquant...
Valérie Piette : Eugène Keym était un " vrai " Bruxellois. De manière assez originale, cet homme va se soucier très tôt de la " mémoire " des
événements de la guerre, en collectionnant une série d'objets et d'imprimés. On sait peu de choses de ces caricatures... Elles
circulaient sous le manteau ; certaines paraissaient dans la presse clandestine ou à l'étranger. Ces caricatures sont une
manière passive mais ô combien expressive, de faire de la résistance. Elles sont empreintes de cet humour typiquement bruxellois,
mais aussi d'un patriotisme exacerbé qui a disparu depuis.
Esprit Libre : En quoi 14-18 explique-t-elle la Belgique actuelle ?
Serge Jaumain : Les historiens considèrent généralement que le XIXe siècle s'achève avec la première guerre mondiale. L'exposition présentée
aujourd'hui est marquée du label "175-25 ", car cette guerre est bien un tournant dans l'Histoire de Belgique. L'ensemble
des structures politiques, sociales, institutionnelles, économiques, culturelles, scientifiques va être bouleversé...
Valérie Piette : ...Il y a une véritable rupture : ce passage entre une société libérale qui s'appuie sur la philanthropie, et qui va devoir
aider, pendant 4 ans, la population à garder la tête hors de l'eau. À la fin de la guerre, le pays est métamorphosé : c'est
l'époque de la naissance de l'assurance obligatoire du chômage, des premières consultations de nourrissons, du début de la
soupe distribuée dans les cantines à l'école, etc. Toutes ces initiatives sont nées durant le conflit. On se dirige lentement
mais sûrement vers un État plus interventionniste et social.
Esprit Libre : Au-delà des conférences et des publications, d'autres activités sont prévues...
Serge Jaumain : Vers février, nous aimerions proposer un colloque sur 14-18 organisé par et avec de jeunes licenciés en Histoire : ces dernières
années, nos étudiants ont réalisé d'excellents mémoires sur cette période ; ce sera l'occasion de les mettre en valeur.
Valérie Piette : Le doyen de Philosophie et Lettres, Jean-Pierre Devroey, a par ailleurs proposé une synergie autour de l'exposition : quelques
cours (autres que ceux d'Histoire) vont être reliés à la thématique de l'expo (cours de littérature et de stylistique de
Madeleine Frederic, cours de néerlandais d'Henny Bijleveld, etc.). Un cahier pédagogique (réalisé grâce à l'aide du Pôle Bernheim
Paix et Citoyenneté) sous forme de fiches téléchargeables sera également accessible aux écoles secondaires et primaires.
Serge Jaumain : Il y aura aussi un concert de musique d'époque et même un " dîner de guerre " à l'athénée Jean Absil. Ou comment survivre
en ne mangeant presque rien : rutabagas... et riz à tous les repas !
Alain Dauchot
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Il y a très exactement nonante ans, les Belges connaissaient les affres de l'occupation militaire allemande. L'ULB, et plus
particulièrement le Centre interdisciplinaire de recherches sur l'Histoire de Bruxelles de l'ULB (CIRHIBRU), propose, avec
les Archives de la Ville de Bruxelles, de revenir sur cette époque troublée. Rencontre avec les historiens Valérie Piette
et Serge Jaumain, au coeur du projet.
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