[page précédente]    [sommaire]    [page suivante]  
esprit libre

[portrait]
 
 
 
Michel Draguet L'art, comme une locomotive

Esprit Libre : Vous êtes à la tête des Musées royaux des beaux-arts depuis un peu plus de 6 mois. Vous avez été nommé pour une mission d'au moins 6 ans. 6 mois, est-ce suffisant pour faire un état des lieux du fonctionnement de l'institution ? Et pour imposer sa touche personnelle, son impulsion ?
Michel Draguet : J'étais, comme tout le monde, un simple usager du musée. Même si le fait d'avoir succédé à Philippe Robert-Jones à l'ULB - qui avait été conservateur en chef des musées - avait bien évidemment créé des liens privilégiés. En 6 mois, j'ai rencontré les membres de mon équipe, nous avons commencé à travailler ensemble... J'appréhende mieux à présent les qualités et les faiblesses de notre offre muséale. Notre institution est un des grands musées d'Europe mais n'en possède malheureusement pas les moyens. Si l'on ne s'attarde que sur l'aspect " forces vives ", notre équipe ne comprend pas plus de personnel qu'un petit musée de province aux États-Unis... En 6 mois, on peut aussi commencer à mettre en place un certain nombre de projets. Comme initier le projet de musée Magritte, par exemple.

Esprit Libre : Parlons-en : ce musée devrait ouvrir ses portes en mars 2007, au sein de votre institution, dans le bâtiment de l'Altenloh. Il sera en quelque sorte une vitrine internationale, une " tête d'affiche permanente "...
Michel Draguet : Il aura deux objectifs. Valoriser la collection la plus importante d'oeuvres de Magritte au monde, en escomptant sur un effet d'aimantation pour que des collectionneurs soient nos partenaires dans cette valorisation. Nous voudrions aussi créer un mouvement dynamique à l'intérieur même des institutions culturelles du Mont des arts ; ce musée, ouvert sur la place royale, aura une visibilité stratégique. À l'intérieur de notre institution, le projet de musée Magritte servira de locomotive pour redynamiser et moderniser notre ligne muséologique, notre infrastructure (bornes interactives, site Web, nouvelles vitrines, etc.). Enfin, l'idée à terme est de trouver des espaces pour exposer l'art du XXe siècle dans de bonnes conditions. En termes d'image, le patrimoine que nous possédons a potentiellement une force d'attraction énorme. Les musées royaux sont connus dans le monde entier ; il s'agit d'un outil formidable, à valoriser de manière très proactive pour en faire une vitrine belge et européenne.

Esprit Libre : La vie d'un musée, au-delà des collections, ce sont les expositions temporaires. Quelle est votre philosophie en la matière ?
Michel Draguet : L'idée est de faire des expositions peut-être moins grandes en termes de taille et de coût que par le passé, mais de leur donner une diffusion à travers le monde, de mieux exporter nos artistes. Nous organiserons, par exemple, une Rétrospective Léon Spilliaert en 2006 ; or, celui-ci n'est absolument pas connu aux USA, parce qu'aucun de leurs musées ne possède une de ses toiles... Ce qui peut paraître incroyable. Par ailleurs, nous continuerons de faire tourner une partie de nos collections hors nos murs.

Esprit Libre : Votre institution est aussi un lieu de recherches...
Michel Draguet : Je préciserais même que nous ne sommes pas réellement un musée - ou d'abord un musée : nous sommes un établissement scientifique fédéral qui possède des collections. L'aspect recherche est, pour moi, prioritaire. Or notre équipe scientifique est très réduite. Mon objectif sera de la consolider, avec comme ambition, à terme, de créer un institut de recherche pilote à l'intérieur du musée qui pourrait fédérer la bibliothèque, les archives, des groupes de recherche, etc.

Esprit Libre : Vous avez écrit plusieurs ouvrages sur Magritte, Khnopff, le Symbolisme... Est-ce que ces choix recouvrent vos goûts personnels et quels sont vos goûts en général, en matière de création plastique ?
Michel Draguet : Cela recouvre forcément partiellement mes goûts. Comment " supporter " un sujet que l'on est amené à étudier si l'on n'a pas une certaine attirance pour lui, au moins intellectuelle ? J'apprécie ce qui dans le Symbolisme ou chez Magritte continue à posséder une certaine actualité, à véhiculer un questionnement contemporain. Sinon, j'aime l'avant-garde russe, par exemple...

Esprit Libre : Vos deux enfants ont neuf et treize ans. Comment les initiez-vous à l'Art ?
Michel Draguet : Ils n'ont pas une inclinaison naturelle pour l'Art et n'aiment pas spécialement visiter les expos! Et je ne les pousse pas vraiment dans ce sens... Mais j'essaie de les intéresser aux images fixes, de faire en sorte qu'ils s'interrogent sur leur sens, leur histoire, leur contexte. Nous vivons à l'heure du zapping permanent: dans le musée, le visiteur lambda marche en regardant, il ne s'arrête plus. C'est dommage. J'essaie aussi de faire comprendre à mes enfants que la culture, c'est la liberté.

Alain Dauchot


À 41 ans, Michel Draguet est à la tête d'une des plus importantes institutions culturelles du pays : les musées royaux des beaux-arts de Belgique. Historien de l'art, professeur ordinaire à l'ULB où il conserve actuellement deux cours, il est par ailleurs un des grands spécialistes de Magritte. Sous le regard vide d'un personnage de Chirico - le vrai-faux tableau qui trône dans son bureau - il réfléchit chaque jour à l'art de rendre à nos artistes le meilleur reflet de leur talent, au travers d'une politique de recherche et d'exposition.



 
  ESPRIT LIBRE > JANVIER 2006 [ n°35 ]
Université libre de Bruxelles