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Marc Fumaroli Européen et fier de lettres

Malgré Internet, les moyens de communication modernes et la technologie à outrance, la République des lettres qui a, durant si longtemps, vu se rapprocher des intellectuels, des artistes, des écrivains de tous horizons au coeur de l'Europe - malgré les frontières et les rivalités de nations et de religions -, cette République-là a perdu de ses couleurs, estime l'académicien français Marc Fumaroli.

La République des lettres est née lorsque des élites cultivées ont, pour la première fois depuis l'Antiquité, porté un regard conscient sur le monde qui les entourait, créant par la même une communion intellectuelle et spirituelle dans un cadre géographique relativement précis. Entre érudits partageant la même langue, le latin, s'établiront des correspondances qui tisseront autant de liens pour établir ce lieu de l'esprit, cette République des lettres partagées. Une République qui grandira, évoluera, et traversera les siècles, telle un institution invisible, jamais déclarée.

" Foules solitaires "

La prospérité matérielle de l'Europe de l'après-guerre n'a pas empêché les " foules solitaires " de se constituer, le repli sur soi de battre en brèche un sentiment d'appartenance commun, expliquera le conférencier. Si la société américaine possède une foi élémentaire en elle-même, nous sommes, nous, dépourvus de ce " bien-fondé " qui fait la force de la société d'Outre-Atlantique. Mais aussi sa faiblesse, ajoute Fumaroli.

Ce complexe et ce manque de fierté et d'enthousiasme pour cette chère vieille Europe et son passé sont nés d'une volonté de ne jamais refaire les mêmes erreurs : celles apparues avec les nationalismes et les totalitarismes. " L'Europe ne conserve de son Histoire que ses plaies. Pourquoi ne parlons-nous que d'un passé de crimes et d'injustices ? ". En découlent des pertes de mémoires qui, au-delà de la critique du passé récent, nous font aussi oublier notre passé plus lointain, que nous pourrions pourtant revendiquer avec noblesse.

L'Europe et la Turquie

L'Europe de l'opulence matérielle donne le spectacle d'une Corne d'abondance intarissable mais cache, derrière le mirage d'un luxe communicationnel, une pauvreté de l'esprit, pense l'académicien. Mais il ne désespère pas pour autant, en concluant sur ces mots : " D'autres époques ont vu l'Europe se ressourcer. Je suis trop attaché à elle pour ne pas croire qu'elle possède, aujourd'hui encore, les capacités pour y arriver ".

N'est-il pas désuet, pourtant, d'évoquer et de défendre une coopération des esprits, des lettres, d'un certain humanisme, à l'échelle de l'Europe et non pas du monde ? Pour Marc Fumaroli la réponse est claire : " Ne nous noyons pas dans le monde avant d'avoir créé notre identité ", dira-t-il, précisant au passage lors du débat qui suivra sa conférence que, pour lui, l'entrée des Turcs dans l'Union européenne serait particulièrement incohérent.

 


Descartes dans son " Discours de la méthode " parlait de la " Respublica literaria ". Une notion qui, selon Marc Fumaroli, invité du cycle Cultures d'Europe en octobre dernier, est apparue en 1417. Quelques siècles plus tard, le Littré en parlera comme de " La nation des lettrés qui transcende toutes les nations ". Mais qu'en est-il de cette république au jour d'aujourd'hui, alors que l'Europe institutionnelle, elle, a fait son chemin ?



Fumaroli, l'homme de lettres
Né en 1932 à Marseille, Marc Fumaroli, a grandi à Fès, au Maroc. Il a suivi des études supérieures à l'université d'Aix-en-Provence et à la Sorbonne. Agrégé en lettres classiques et docteur ès lettres, il est considéré comme l'un des plus éminents spécialistes de la littérature du classicisme français, tous domaines confondus, et de la rhétorique en France. Il y a quinze ans, il fut d'ailleurs le premier titulaire de la Chaire Perelman à Bruxelles, comme le rappelait Michel Meyer.
Professeur au Collège de France, membre de plusieurs sociétés savantes et invité dans de nombreuses universités, il a été élu en 1995 à l'Académie française, où il a succédé à Eugène Ionesco.
La publication de sa thèse de doctorats " L'âge de l'éloquence " marqua un tournant dans la recherche littéraire consacrée au XVIIe siècle. Auteur de nombreux ouvrages comme " Chateaubriand. Poésie et Terreur ", " Quand l'Europe parlait français ", " La Diplomatie de l'Esprit, de Montaigne à La Fontaine ", " Le Poète et le Roi. Jean de La Fontaine en son siècle ", " L'État culturel ", il est, en outre, le fondateur et l'éditeur de l' " Histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne, 1450-1950 ", oeuvre monumentale, publiée en 2001.
Marc Fumaroli a reçu en 1982 le prix Monseigneur Marcel de l'Académie française et, en 1992, son prix de la Critique. Il a reçu le prix Balzan en septembre 2001, le prix du Mémorial et le prix Combourg en 2004.

Cultures d'Europe
La nouvelle saison 2006

13 février : Axel Kahn, directeur de l'Institut Cochin
" Déterminismes et liberté ; un débat multimillénaire à l'heure de la génétique et de la neurobiologie "

13 mars : Gérard Mortier
9 mai : Mario Vargas Llosa
20 octobre : Jean Clair

Infos et abonnements :
Service Cérémonies, 02 650 23 03
ou cultures.europe@ulb.ac.be

 
  ESPRIT LIBRE > JANVIER 2006 [ n°35 ]
Université libre de Bruxelles