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Vandana Shiva Une femme de combats

Esprit Libre : Comment une fille de fermier indien s'éprend-elle de sciences ?
Vandana Shiva : À vrai dire, je n'ai absolument aucune idée d'où m'est venue cette vocation de physicienne. D'aussi loin que je puisse m'en souvenir, j'ai toujours caressé le rêve d'embrasser une carrière de scientifique. Einstein est d'ailleurs rapidement devenu ma figure emblématique. Jeune, j'ai fait en sorte de pouvoir étudier toutes les sciences, notamment au Bhabha Atomic Research Centre, à Bombay.

Esprit Libre : Vous menez plusieurs combats de front, notamment pour protéger la Terre...
Vandana Shiva : Je pense que notre planète se sauvera elle-même. Aussi destructeurs soient-ils avec l'environnement, les hommes anéantiront néanmoins leurs propres conditions d'existence bien avant la Terre. Mais nous conservons des obligations écologiques envers notre Mère. Voilà pourquoi les combats écologiques font partie de mes priorités. Je défends également les droits des femmes. Le mouvement féministe concerne aujourd'hui non seulement les droits de l'Homme en général mais aussi l'amélioration des conditions de vie de tous, dans le monde entier. La situation des femmes en Inde n'est pas aussi critique que nombre de stéréotypes peuvent le laisser penser. Notre société est au contraire très ouverte et une femme a autant de chance qu'un homme de mener sa carrière à bien. Je protège également la paysannerie. J'ai ainsi décidé de quitter ma vie de femme de sciences pour retourner cultiver la terre, non pas délibérément mais pour tenter d'enrayer le mal qui est actuellement fait à l'agriculture : désertification des sols, disparition de l'eau et de la biodiversité... mais aussi étouffement à feu doux des petits fermiers. Jour après jour, ceux-ci sont davantage privés de denrées indispensables, comme par exemple avec l'augmentation sans fin du prix des semences.

Esprit Libre : Considérez-vous qu'un scientifique doit défendre une certaine éthique ?
Vandana Shiva : Absolument. À ce propos, en 2005, les célébrations autour d'Albert Einstein ont mis à l'honneur un personnage qui a illustré cette obligation à merveille. J'estime qu'un scientifique doit se porter garant de tout ce qui peut découler de son travail et de ses découvertes ; l'extrapolation et l'interaction font partie intégrante de son travail. Il ne peut en aucun cas se retrancher derrière des excuses. Si une de ses trouvailles mène vers des applications néfastes pour la société ou l'environnement, alors, le scientifique devra assumer la responsabilité de ses actes. Il faut donc veiller à ce que les scientifiques restent proches de la société et de l'écologie, au lieu de s'en détacher pour se lier davantage au pouvoir économique. Ce basculement crée les fondations de l'irresponsabilité. Si on n'écoute pas la population, on ne répondra pas à ses besoins mais bien à ceux d'un autre maître : l'argent.

Esprit Libre : Vous passez un tiers de votre vie à parcourir la planète...
Vandana Shiva : Je voyage en effet environ quatre mois par an en dehors de l'Inde, en combinant bénévolement trois activités internationales : l'enseignement, l'expertise et le soutien à différents mouvements. Ce n'est pas ma première visite à Bruxelles ; par contre, je ne m'étais jamais rendue à l'ULB. D'habitude, je viens plutôt pour travailler au Parlement européen en tant qu'experte. J'ai également déjà été entendue par le Sénat belge ; je participe à des colloques à propos des thématiques qui me touchent... Je suis en interaction constante avec des personnes ou des institutions engagées dans les combats qui me sont proches.

Esprit Libre : Vous reste-t-il du temps libre ?
Vandana Shiva : Mon travail est en réalité devenu mon hobby. Je voyage, je découvre différentes cultures, je jardine, je cuisine, je m'adonne à la marche... bref, tout mon quotidien peut-être considéré comme un hobby ! J'aimerais simplement pouvoir consacrer un peu plus de temps à la musique...

Laurent Cortvrindt


Physicienne de pointe, écrivain, intellectuelle avant-gardiste, militante féministe, protectrice de notre planète et des paysans, créatrice de la Research Foundation for Science, Technology and Ecology... Vandana Shiva mène sa vie toutes voiles dehors. Elle parcourt les océans, voguant entre manifestations et colloques, et collectionne les distinctions - notamment une nomination pour le Prix Nobel de la paix en 2005. Nous avons profité de son escale à l'ULB pour la rencontrer.



Le 10 mars, avec le Pôle Bernheim
Titulaire de la Chaire Bernheim d'études sur la paix et la citoyenneté, Vandana Shiva a effectué en novembre dernier une vingtaine de cours publics et conférences. Elle a également ouvert, le 23 novembre 2005, le colloque " Sciences, paix et citoyenneté " que le Pôle Bernheim de l'ULB organisait avec les Facultés des sciences et sciences appliquées et l'IGEAT. Elle sera de retour à Bruxelles, en compagnie des quatre anciens titulaires de la Chaire Bernheim (Pierre Calame, Anton Pelinka, William Zartman et Jane Jenson), le 10 mars pour un colloque interdisciplinaire qui fera le point sur les recherches menées depuis cinq ans par le Pôle Bernheim : " Les savoirs au défi de la paix et de la citoyenneté ". Infos et programme : www.polebernheim.net

 
  ESPRIT LIBRE > FEVRIER 2006 [ n°36 ]
Université libre de Bruxelles