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Micro-projet étudiants - CUD L'Hôpital Sendwe vers un nouveau départ

En République démocratique du Congo, le secteur de la santé compte parmi ceux qui ont le plus pâti des années de dictature et de guerre. Le 1er hôpital de la province du Katanga fait tristement état de cette réalité. Inauguré en 1925, l'Hôpital général Prince Léopold fut rebaptisé " Hôpital Jason Sendwe " par le général Mobutu en 1971. Géré successivement par l'État, l'Université officielle du Congo et une entreprise minière, la Gécamines, qui le délaissa à partir de la fin des années 80, il connut près de quinze années de dérive, le personnel médical ayant quitté les lieux en emportant le matériel à défaut d'être rémunéré.

D'abord réservé à la population allochtone - il accueillait les Congolais, par opposition à l'Hôpital Reine Élisabeth qui était réservé au " blancs " - puis aux plus démunis, l'Hôpital Sendwe est aujourd'hui, en tant qu'hôpital général de référence de Lubumbashi et de la province du Katanga, au coeur d'un réseau de centres de santé et assure la prise en charge médicale de la majorité des Katangais.

La reprise de la coopération universitaire belge amorcée en 1997 par deux membres du Centre d'anthropologie culturelle de l'ULB, Pierre de Maret, recteur à l'époque, et l'africaniste Pierre Petit, a débouché sur la création de l'Observatoire du changement urbain(1). Roland Pochet, professeur d'histologie à la Faculté de médecine et responsable de la Coopération universitaire institutionnelle (CUI) avec l'Université de Lubumbashi (UNILU) depuis 2000, s'est mobilisé pour que le partenariat entre l'ULB et l'UNILU et, en particulier avec l'Hôpital Sendwe, se développe davantage. Avec 7 autres experts, il a participé à une mission au cours de laquelle une liste de recommandations relatives à cet hôpital a pu être dressée.

Plus qu'un " one shot "

En mars 2006, Roland Pochet a profité d'un appel au microprojet lancé par la CUD pour proposer un stage au CHU Jason Sendwe, tout en posant une condition aux étudiants : pendant leurs 6 semaines de stage, ils seraient chargés d'observer le fonctionnement de l'hôpital depuis l'intérieur et de consigner ces données dans un rapport(2) qui permettra à la CUD de mieux appréhender la situation et d'entreprendre les actions nécessaires pour le prochain plan quinquennal 2008-2013.

Arrivés sur place un an après la reprise de l'hôpital par l'UNILU, les 6 étudiants sélectionnés ont effectué leur stage dans les services de gynécologie-obstétrique, pédiatrie et médecine interne. " Notre quotidien fut partagé avec le personnel, les étudiants de l'UNILU et plus particulièrement avec des étudiants de 2e doctorat avec qui nous avons formé des binômes ", racontent-ils. " Ce stage a été l'occasion de découvrir un continent, une culture en tout point différente de la nôtre, tant au niveau social, qu'économique et religieux, et d'appréhender des pathologies rares voire inexistantes chez nous (drépanocytose, malaria, HIV, bilharziose, fièvre typhoïde...). Il nous aura également permis de pratiquer une multitude d'actes techniques difficilement accessibles pour les internes en Belgique ".

Choc des cultures

" Lors de notre première visite, se souvient Delphine Scory, à l'hôpital, tout avait l'air de bien fonctionner ". Mais après quelques jours seulement, les étudiants de l'ULB ont été frappés par le manque de matériel, de formation, d'organisation et de communication entre les services, par l'absence de concertation constructive et de prise de décisions efficaces et surtout par le manque d'humanité et d'empathie vis-à-vis des patients et des familles. Si la misère et le manque de moyens ne justifient pas tout, Benjamin Rubbers du Centre d'anthropologie culturelle souligne l'importance de ne pas réduire ces dysfonctionnements hospitaliers à une " mentalité " et de bien comprendre les mécanismes sociaux qui les déterminent.

Selon Pierre Petit, il faut éviter de tomber dans les stéréotypes : " Ces faits s'expliquent par la naissance d'un éthos de défiance vis-à-vis de l'État et de la chose publique, y compris les usagers de ces services ; et par la valorisation de la figure du 'héros malin', rusé et prompt à saisir les bénéfices d'une situation, pour autant qu'il redistribue ses gains auprès des 'siens'. L'histoire socio-politique du pays permet de mieux comprendre ce phénomène qui contraste terriblement avec les obligations élevées de solidarité ".

Ce stage aura profondément marqué les 6 médecins stagiaires. Malgré le fait qu'ils aient été témoins " du meilleur comme du pire ", d'aucuns comptent poursuivre dans la voie de la coopération. Grâce à leur présence et à leurs conseils, certaines mauvaises habitudes ont déjà pu être enrayées. Et le rapport qu'ils ont rédigé ne devrait pas rester lettre morte : la Direction générale de la coopération au développement (DGCD) travaille en collaboration avec la CUD et le ministre belge de la coopération Armand De Decker a déclaré qu'il soutiendrait la réhabilitation de l'Hôpital Jason Sendwe.

Amélie Dogot


Suite à un appel lancé en mars 2006 par la Commission universitaire pour le développement (CUD), 6 étudiants de 4e doctorat en médecine à l'ULB ont passé la fin de l'été à Lubumbashi où ils ont effectué un stage à l'Hôpital Jason Sendwe. Leur objectif : acquérir des connaissances sur l'épidémiologie locale et sur la pratique médicale dans un milieu dépourvu de moyens et surtout, récolter les données nécessaires à la réhabilitation de l'hôpital.



(1)À travers ses études empiriques sur différents domaines de la vie sociale (situation des ménages, alimentation, profil sanitaire, éducation, églises, deuil, cartographie, criminalité, enfants de la rue, plantes médicinales et eau), l'Observatoire constitue une banque de données devant servir de référence fiable pour les planificateurs, décideurs politiques et intervenants impliqués dans le développement.

(2)Les premiers pas de la réhabilitation de l'Hôpital Jason Sendwe. Expérience de six étudiants en médecine de l'ULB du 21 août au 29 septembre 2006, par Giuseppe Caravella, Kristel Mestdagh, Rina Parbhoo, Julien Sablon, Delphine Scory et Chloé Wyndham-Thomas, 2006. Ce rapport peut être téléchargé sur le site Web de la CUD.

 
  ESPRIT LIBRE > FEVRIER 2007 [ n°46 ]
Université libre de Bruxelles