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Comme un beau diable

Esprit Libre : Qu'est-ce qui vous a fait choisir d'étudier l'histoire de l'art ?
Laurent Busine : Quand j'étais en rhéto, on visitait différentes universités. À l'ULB, j'ai assisté à une conférence du professeur Charles Delvoye. C'est à l'issue de cette conférence que j'ai décidé de choisir l'histoire de l'art. Cela a été un moment très important de ma vie : je me souviens m'être dit que si j'arrivais un jour à la cheville de ce que je venais d'entendre, j'aurais réussi mon existence. Charles Delvoye parvenait à comparer des choses qui apparemment n'étaient pas comparables et à élargir son discours au champ social et politique. Il ne limitait pas l'art à un propos sur l'esthétique. Cela m'a profondément ébranlé. Il a été un des personnages les plus importants de mon existence. J'ai été son élève. Puis je l'ai rencontré régulièrement. L'amitié de cet homme était quelque chose de remarquable. Je ne pense pas que je le lui aie jamais dit. C'est un de mes regrets d'ailleurs. On ne dit pas ces choses là parce qu'on est retenu par une certaine pudeur, qui est en fait une imbécillité.

Esprit Libre : Le Grand-Hornu n'est pas seulement beau. C'est aussi un lieu chargé d'histoire sociale. C'est pour cela que le musée se trouve ici et non ailleurs ?
Laurent Busine : Mais oui. Le propos que je développe, pour employer une formule un peu lapidaire, est le suivant : pour qu'un jour il y ait le musée de tous, il faut d'abord qu'il y ait le musée de chacun. Et jamais l'inverse, parce que ce serait de la tyrannie intellectuelle, ce serait imposer un canevas à tout le monde pour que chacun s'y retrouve. Pour moi, chacun doit d'abord retrouver en quoi une œuvre contemporaine lui parle, pour qu'à partir de ce moment-là l'échange qu'il va établir avec ses contemporains soit enrichi du propos singulier de chacun. C'est comme cela qu'alors on arrive au musée de tous : parce que chacun y retrouve une part qui lui est singulière. Nous développons donc une politique très large dans ce sens, une politique axée sur une volonté sociale d'ouvrir le musée. Le principe est simple : ce musée a été construit avec de l'argent public, les collections sont bâties avec de l'argent public, ce musée est destiné au public. C'est pour cela notamment que, tous les premiers mercredis du mois, le musée est gratuit. Et ce jour-là je mets une dizaine de guides à la disposition du public. C'est un vrai choix politique. J'ai une enveloppe budgétaire globale : l'argent que je consacre à cela, je ne le consacre pas à autre chose.

Esprit Libre : Votre première exposition a accueilli 45.000 personnes. Quand je pense qu'on dit que l'art contemporain est réservé à quelques initiés…
Laurent Busine : L'art contemporain n'est pas plus ardu que bien d'autres formes d'art. Je crois même que l'art ancien est plus complexe à expliquer, puisqu'il fait référence, dans bien des cas, à des connaissances oubliées ou méconnues.

Esprit Libre : Qu'est-ce que vous n'exposeriez pas ?
Laurent Busine : Je vais répondre par une pirouette : en fait on ne peut défendre que ce pour quoi on a de l'amour ou du respect. J'ai fini par me rendre compte qu'il n'est pas possible et qu'il serait même déraisonnable d'imaginer que l'on puisse travailler dans un domaine comme celui-ci en voulant atteindre à une objectivité. Le matériau que nous utilisons est éminemment subjectif, sensible. Nous allons évoluer avec notre public. Dans la première exposition, l'affleurement d'une émotion était très évident. Pas de prise de tête. Je ne voulais surtout pas commencer l'aventure du musée en effrayant les visiteurs.

Esprit Libre : Il y a une vie en dehors du Grand-Hornu, j'imagine. De quoi est-elle faite ?
Laurent Busine : D'énormément de littérature. Je lis depuis toujours. J'écris aussi. Modestement. Pour le plaisir, pour les amis. Je leur envoie de tout petits ouvrages qu'on tire à une vingtaine d'exemplaires. J'écris aussi avec des amis artistes. Une part de mes vacances n'est consacrée qu'à ça. Cela fait partie de mon plaisir mais je pense aussi qu'il est nécessaire d'avoir un coin de sa vie où l'on s'enrichit différemment. Pour moi c'est l'écriture et la lecture.

Nicolas Van den Bossche


Le cigarillo fume. L'œil pétille… Laurent Busine a 51 ans. Ulbiste, licencié en histoire de l'art, il fut notamment un remarquable directeur des expositions au Palais des beaux-arts de Charleroi. Mais le grand œuvre de ce diable alchimiste, c'est le MAC's, le Musée des arts contemporains. Il a ouvert ses portes en septembre 2002 sur le site du Grand-Hornu, près de Mons.



MAC's
Site du Grand-Hornu
Rue Sainte-Louise 82
7301 Hornu
Tél. 065 65 21 21
Ouvert tous les jours de 10h à 18h, sauf le lundi, le 25/12 et le 01/01.

 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2003 [ n°10 ]
Université libre de Bruxelles