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Le cercle du libre examen commémore son 75ème anniversaire

Esprit Libre : : Quel Cercle dans les années '50 ?
Roger Lallemand : : Je suis heureux de voir que l'on fête le Cercle du Libre Examen. Il a joué un rôle important dans la vie. J'ai été dominé par ce passage à la présidence du Cercle. Je n'aurais pas été ce que je suis si je n'avais pas été président. Le Librex était un lieu de recherche et d'engagement. Nous le voulions tel. Il y avait une tradition plus libérale du Librex, genre " centre de conférences " et un Librex plus engagé, notamment à l'égard du racisme. Demeurait aussi au sein de la communauté universitaire un très fort courant anticlérical, véritable facteur d'unité entre les courants libéraux, socialistes et communistes. Au terme de ma présidence, se dérouleront deux événements déterminants : la Guerre de Suez et l'invasion de la Hongrie en '56. Suivra une forte division en deux camps : celui de ceux critiquant le colonialisme et celui de ceux s'affirmant au travers de la découverte de la dictature soviétique. Nous découvrions avec stupéfaction qu'une armée soviétique pouvait écraser un pays qui voulait vivre une destinée personnelle. Cette tension ne va pas écraser pour autant le Librex qui génère une unité dans le refus de l'argument d'autorité, dans l'affirmation de l'égale dignité de chaque être humain et dans l'affirmation de la liberté critique comme élément constitutif de la démocratie

Esprit Libre : : Quel Cercle à la fin du 21ème siècle ?
Jonathan Biermann : : L'anticléricalisme demeure toujours en 1999 mais de manière moins fondamentale car il ne divise plus l'ensemble de la société. Il se retrouve dans des débats spécifiques d'actualité, comme les débats éthiques. Le Cercle continue à avoir un caractère anticlérical sur ces questions-là mais il s'est développé différemment. Si on le traduit en termes actuels, on va plutôt parler d'anti-pensée unique. On fait de l'anticléricalisme parce qu'on revendique le droit à avoir une opinion propre et ne pas forcément accepter tous les discours entendus à la télé ou lus dans les journaux. Bref, avoir une vision et des positions propres.

Esprit Libre : : " Le Librex n'est pas un passage facile et sa sortie l'est encore moins "… Que voulez-vous dire, Roger Lallemand ?
Roger Lallemand : : Après mon mandat de président, je n'ai pas renoncé à l'engagement idéologique. Devenir fonctionnaire ou exercer un métier " classique " me paraissait impossible. Je suis entré au Barreau qui me paraissait la profession la plus compatible avec mon engagement passé. Je suis resté actif dans des mouvements idéologiques. Finalement, je suis entré en politique mais assez tard. J'ai refusé plusieurs propositions de mandat politique et ne suis devenu sénateur qu'à l'âge de 47 ans. Après le Librex, je ne pouvais pas militer dans un parti politique déterminé même si j'étais inscrit au PS, mais je ne voulais pas assumer une fonction politique engagée. Je craignais de rompre avec un milieu pluraliste. C'était une erreur. J'ai gardé bien des amis dans des milieux étrangers au PS.

Esprit Libre: : Le Cercle a-t-il un avenir ?
Roger Lallemand : : Le Cercle a un avenir fondamental. La liberté critique n'a pas fini son rôle essentiel et sans fin. Le Libre examen est lié, historiquement et structurellement, à un objectif : garantir l'universalité de l'homme, réaliser l'adage fondamental " chaque homme est égal en dignité et en droit ". Ce sont là des combats dominés par la complexité et l'ambiguïté : la liberté et l'égalité demeurent une tension. Le Librex est porté par des courants de valeurs multiples et se trouve parfois, au sein de ses adhérents, face à des affirmations radicales et intolérantes. L'exigence totalitaire qui a structuré le catholicisme et le communisme reste sous-jacente et le dogmatisme demeure une tentation confortable. L'avenir de l'oppression est masqué par celui de la liberté.

Esprit Libre : : Le point de vue actuel ?
Jonathan Biermann : : Je constate qu'il y a toujours un souci permanent, au-delà du caractère fluctuant des combats, de se positionner par rapport au monde qui nous entoure. C'est la première démarche libre-exaministe. Mon expérience actuelle me fait dire que libre examen est un moteur de progrès et de développement parce qu'il n'existe que dans la tension car il y a toujours cette question de savoir ce qui peut être constamment remis en question face à ce qui nous entoure. C'est extrêmement propice par rapport à l'avenir du Cercle. Le fil conducteur de l'histoire du Cercle est cette tension perpétuelle dans notre environnement. La chance d'avoir un si riche passé nous permet aussi de le mettre en perspective, les mythes sont des mythes mais l'intéressant parfois est d'aussi les reconstruire. Pour construire de nouveaux combats, il faut regarder le passé. A l'avenir, le Cercle sera toujours présent dans les combats face aux dangers du nouveau siècle, celui des nouveaux dogmes, sorte de totalitarisme invisible restreignant nos libertés et notre propre développement en tant qu'humain.

Georgy MANALIS

L'Union des Anciens Etudiants soutient les activités du Cercle du Libre Examen qui commémore cette année son 75ème anniversaire. Le Cercle, créé en 1924, a connu comme présidents, Roger LALLEMAND de 1952 à 1956 et Jonathan BIERMANN en fin de siècle dernier en 1999 - 2000. Regards croisés sur deux pans d'histoire du Cercle et réactions du Président actuel, Jérémie TOJEROW.



 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2003 [ n°10 ]
Université libre de Bruxelles