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L'économie, autrement

Secteur d'activité bouillonnant, l'économie sociale est une manière de faire de l'économie " autrement ", en privilégiant les objectifs de démocratie, de production durable, de solidarité, de respect de l'environnement et de respect des travailleurs avant celui de profit. Elle a été définie en mars 1990 par le Conseil wallon de l'économie sociale : " l'économie sociale se compose d'activités économiques exercées par des sociétés, principalement coopératives, des mutualités et des associations dont l'éthique se traduit par les principes suivants : finalité de service aux membres ou à la collectivité plutôt que de profit, autonomie de gestion, processus de décision démocratique, primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus ".

Dans la pratique, l'économie sociale correspond à des types d'organisation et de statuts juridiques précis : les associations, les mutuelles et les coopératives. Elle représenterait 14 % des emplois salariés en Belgique (400.000 équivalents temps plein). Selon Defourny (*) (1996), des travaux réalisés à la demande du CWES montrent que l'économie sociale concerne environ 80.000 emplois en Wallonie et 255.000 emplois en Belgique. Si l'on veut évaluer l'ensemble des ressources humaines mobilisées par l'économie sociale, il faut aussi prendre en considération l'énorme masse de travail bénévole fourni au sein des associations : les heures de travail prestées par tous les bénévoles représentent l'équivalent de 36.000 emplois à temps plein en Wallonie et de 115.000 emplois en Belgique.

Yuman Land

La Semaine de l'économie sociale proposée par Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (SAW-B), Febecoop, Syneco et Cera à l'ULB (campus du Solbosch et de Nivelles) vise à casser les clichés qui entourent trop souvent ce secteur, et à dévoiler une palette d'activités représentatives de celui-ci : la finance alternative, l'entrepreneuriat social, le recyclage des déchets, le commerce équitable, les services de proximité, les nouvelles technologies, etc. Au programme du 7 au 12 mars : conférences, marché de l'économie sociale, Job-day, visites d'entreprises, expositions... Chacune de ces activités sera estampillée par la mascotte Yuman, un sympathique extra terrestre que l'on peut interpréter comme un petit clin d'oeil à ceux qui considèrent encore les acteurs de l'économie sociale comme des martiens.

Découvrez le programme sur : http://www.ulb.ac.be/yuman

À la recherche d'une définition...
Nous avons demandé à Jean Luc de Meulemeester, professeur en sciences économiques, spécialiste du non-marchand et chercheur au Département d'économie appliquée de l'ULB (Dulbéa), de tracer les contours d'un secteur qui se dérobe à toute définition trop restrictive ou trop simpliste. Il nous en livre sa vision :

" Définissons d'abord le terme plus connu et plus employé de secteur non-marchand, même si ce dernier ne recouvre pas entièrement la même réalité. C'est un secteur qui est théoriquement situé entre le secteur marchand (mû par un objectif de profit, dont les ressources sont issues de la vente de produits sur un marché et financé entre autres par un appel aux marchés des capitaux) et le secteur public organisé par l'État (financé par l'impôt, fournissant des biens collectifs).

Les anglo-saxons parlent tantôt de non-profit sector ou de non-governmental organisations. Il faut noter le côté flou des frontières du non-marchand, surtout face au secteur public stricto sensu. L'économie sociale constituerait un sous-ensemble relativement imprécis du non-marchand ; et encore, ceci est discutable : l'économie sociale peut aussi participer à l'économie marchande - vendre des biens de nature privée - mais " autrement ". Defourny souligne bien que l'économie sociale touche des activités proprement économiques. Il ajoute que " par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, les besoins qu'elles rencontrent et les services marchands ou non marchands qu'elles fournissent, de très nombreuses associations sont économiques et participent incontestablement à la production de richesses et à l'accroissement du bien-être général. " (*)

On voit l'accent mis sur des valeurs (une éthique) tant dans la finalité (service aux membres, par exemple d'une coopérative, ou de la collectivité) que dans le fonctionnement interne. Ceci rend assez complexe la définition précise de l'appartenance au secteur. On notera aussi l'accent mis sur l'autonomie de gestion pour bien distinguer le secteur de la production de biens et services par le secteur public.

L'économie sociale peut être entrevue comme dans la continuité de ces expériences de " socialisme utopique " (pensons à Owen, Fourier... ; à la célèbre coopérative de consommateurs fondée en 1844 à Manchester, " la société des équitables pionniers de Rochdale ", dont les principes restent à la base du mouvement coopératif), pour reprendre l'expression de Marx. Il s'agit au sein du monde capitaliste et en dehors de la sphère étatique de " faire de l'économie autrement " en mettant en avant d'autres valeurs que le profit. La notion de service au public est mise en avant. La Belgique a une expérience historique particulière en la matière, le mouvement coopératif et mutualiste y ayant été particulièrement marqué dès la fin du XIXe siècle (en liaison avec le mouvement ouvrier), avec des échos toujours contemporains, en relation avec la pilarisation de la société belge (pensons aux mutualités chrétiennes, socialistes...). "

Elle demeure méconnue, et pourtant, elle " pèse " de plus en plus dans notre paysage socio-économique : l'économie sociale est en quelque sorte une troisième voie entre le secteur privé classique et le secteur public. Pour mieux appréhender ce domaine en pleine expansion, rendez-vous du 7 au 12 mars sur les campus de l'ULB, où une série d'animations et d'actions devraient éveiller la curiosité des étudiants...



(*) Professeur à l'ULg

Bibliographie

(*) Defourny, J. et J.L. Campos Monzon (éd.), Économie sociale. Entre économie capitaliste et économie publique. Bruxelles, De Boeck, 1992, pp. 228-229.

Defourny, J. (1996), " Les pistes de l'économie sociale, du secteur non marchand et des services de proximité ", in : L'avenir du non marchand. Services publics et associations face au marché global, Bruxelles, EVO/MOC.

 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2005 [ n°29 ]
Université libre de Bruxelles