Jane Jenson
Canada-Europe : l'état de la citoyenneté
Esprit Libre : Quels sont les grands domaines de recherche sur lesquels vous travaillez ?
Jane Jenson : Je travaille sur les questions de citoyenneté sociale et sur la citoyenneté des femmes, tout comme Bérengère Marques-Pereira
de l'ULB. La plupart de mes recherches concernent les changements qui modifient la citoyenneté sociale, et qui concernent
notamment les régimes de protection sociale. J'étudie beaucoup à la comparaison entre les systèmes du Canada, du Québec et
des pays européens. Venant d'un pays fédéral, je m'intéresse aux questions de gouvernance dans les systèmes multi niveaux,
et ceci non seulement au Canada mais également dans l'Union européenne.
Esprit Libre : Vous avez été professeure invitée dans de nombreuses universités, notamment européennes. Cette fois vous venez chez nous,
dans le cadre de la Chaire Bernheim paix et citoyenneté. Comment définir la notion même de citoyenneté ?
Jane Jenson : Fin mars, nous organisons un colloque international dans le cadre de cette Chaire Bernheim, intitulé : " La citoyenneté dans
tous ces états ". Notre point de départ, qui est le mien d'ailleurs, est que la définition de la citoyenneté dépasse largement
la nationalité ; l'enjeu est de savoir qui est inclus et qui est exclu des droits citoyens et de la participation à la vie
collective. Nos sociétés sont de plus en plus diversifiées, voire fragmentées, notamment à cause des restructurations de type
économique. Les institutions étatiques sont menacées dans leurs capacités à assurer l'inclusion et la participation à la vie
collective. Les institutions supra nationales proposent parfois une alternative à la citoyenneté traditionnelle. Nous analyserons
donc les mutations dans les régimes de citoyenneté, les questions de cohésion et de paix sociale, les formes de citoyenneté
face à la mondialisation, les changements notamment idéologiques qui la marquent.
Esprit Libre : Voyez-vous de grandes différences entre le Canada et l'Europe en la matière ?
Jane Jenson : On ne peut pas faire de distinction claire et nette. Au Canada, nous avons sans doute plus d'expérience en matière d'immigration
par exemple, parce que nous avons dû penser plus tôt les questions liées au " vivre ensemble " dans une société plurielle.
Nos problèmes d'intégration sont sans doute moins difficiles que dans certains pays européens. Par contre, l'idéologie néo-libérale
a moins frappé l'Europe que le Canada. Dans certains pays européens, les modèles sociaux sont moins remis en question que
chez nous, et les régimes de protection sociale moins menacés.
Esprit Libre : Est-ce que ce qu'on appelle la " société civile " est appelée à prendre une plus grande importance dans la gestion des affaires
de la Cité ?
Jane Jenson : Nous avons vécu divers changements dans les discours et les pratiques depuis quelques décennies. Il est évident que le modèle
classique d'après 1945, où les syndicats et les partis politiques s'occupaient de la représentation des citoyens, a connu
des difficultés. Les citoyens cherchent d'autres façons d'exprimer leurs revendications. Il y eut les mouvements sociaux (celui
des femmes, le mouvement écologique...). Aujourd'hui, on entend plus facilement s'exprimer les individus dans leurs quartier
ou ville. Si l'on parle de l'Europe, la question du déficit démocratique se pose aujourd'hui face aux institutions établies.
Au niveau mondial, on peut parler du mouvement altermondialiste. C'est encore un autre exemple qui prouve que la société civile
est appelée à prendre plus d'importance.
Esprit Libre : Quel regard portez-vous sur la construction de notre Union européenne ? Comment est-ce vu et vécu de l'autre côté de l'Atlantique
?
Jane Jenson : À part quelques universitaires ou les entreprises qui ont des intérêts européens et qui s'informent, la grande majorité de
nos concitoyens - et nos décideurs d'ailleurs ! - ignore ce qui se passe chez vous. Les informations qui nous parviennent
sont très limitées. Ceci dit, je ne pense pas que le citoyen européen connaît ses propres institutions correctement... Mais
il est de notre intérêt de mieux les connaître : malgré les partages de compétences qui distinguent les institutions européennes,
il y a chez vous une souplesse dans la mise en pratique de politiques communes dont nous ferions bien de nous inspirer...
Esprit Libre : Connaissiez-vous la Belgique et qu'est-ce qui vous a poussé à accepter ce poste temporaire à l'ULB ?
Jane Jenson : En 1998, j'ai passé six mois chez vous et j'ai rencontré à cette occasion de nombreux collègues de l'ULB que je serai heureuse
de retrouver ! Vu les matières auxquelles je m'intéresse, ce passage à Bruxelles à l'invitation du Pôle Bernheim et les échanges
que j'aurai avec des collègues du Centre de sociologie politique et de l'Institut d'études européennes sont très importants.
Esprit Libre : En dehors du travail, quels sont vos hobbies ?
Jane Jenson : Nous sommes férus de ski ! Il n'y a pas de pistes chez vous mais nous irons quelques jours dans les Alpes françaises pour
le pratiquer. Sinon, je serai heureuse de pouvoir promener notre chien dans le bois de la Cambre, qui est magnifique !
Alain Dauchot
|
Jane Jenson est professeure de science politique à l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada
en citoyenneté et en gouvernance. Elle est par ailleurs directrice de l'Institut d'études européennes de cette université.
Elle est l'invitée de l'ULB en mars, en tant que titulaire de la Chaire Bernheim paix et citoyenneté.
|
Pour connaître le programme du colloque " La citoyenneté dans tous ses états " : http://www.ulb.ac.be/iee/polebernheim/
Infos : 02 650 40 43 pole.bernheim@ulb.ac.be
|