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Michel Onfray Les religions passées au karcher

Dieu est mort et depuis longtemps. Oui mais voilà, sorti par la grande porte depuis Nietzsche, Auschwitz et Hiroshima, il revient de manière plus insidieuse dans nos sociétés en manque de sacré depuis que le capitalisme a pris seul les rennes du pouvoir. " Aujourd'hui, St-Augustin est publié dans la Pléiade et fait un malheur en librairies, alors que vous ne trouverez toujours pas de rayon athéisme dans celles-ci ", explique Michel Onfray. L'athéisme tranquille du philosophe s'est donc mué en un athéisme " intranquille ". D'où cette nouvelle charge sous forme de livre, après une vingtaine d'ouvrages publiés jusqu'ici et consacrés à l'hédonisme, au corps libertin, au matérialisme sensualiste, etc.

En une centaine d'années, la société n'est pas devenue athée, elle est devenue nihiliste : nous baignons dans la confusion des valeurs. Nous sommes, nous dit Onfray, revenus à une période trouble, celle qui prévalait au IIe siècle de notre ère : un âge d'angoisse et d'irrationnel.

Contre l'épistémè judéo-chrétienne

Prenez le projet de constitution européenne, analysez le système juridique français, ou regardez comment sont traités aujourd'hui les questions de bioéthique : nos sociétés sécularisées sont encore chrétiennes sans le savoir. Ce que Michel Onfray nomme l'épistémè judéo-chrétienne. Il faut donc déchristianiser la pensée laïque. Fabriquer une athéologie véritable en mobilisant toutes les sciences du savoir pour en faire la démonstration. En construire l'Histoire aussi. Qui se souvient de l'abbé Jean Meslier (1664-1729) qui se livra à une critique féroce de Dieu et du christianisme ? On ne trouve pas ses textes en librairie. On nous parle toujours, au siècle des Lumières, des Diderot, Montesquieu, Voltaire... Mais on oublie les grands matérialistes qui ont créé l'athéisme.

Un athée dit ce que Dieu est : un fantasme, celui de notre impuissance. Faisons donc appel à la psychanalyse, à la psychologie, à la critique historique, à l'étude du cerveau et de sa chimie pour déchristianiser l'épistémé et nettoyer nos pratiques, nos consciences de toutes les traces qu'il y a laissées, nous dit Onfray.

Christianisme, judaïsme, islam : zéro partout

La charge du philosophe contre les trois grands monothéismes est sans appel : ces trois religions ont combattu l'intelligence et le savoir, condamné la raison, les passions, les pulsions du corps, prouvé leur haine des femmes, de la vie, leur goût pour la mort, au nom d'un idéal ascétique, d'un " arrière-monde " inexistant. Elles ont également généré les guerres et les totalitarismes. Cachant leur réel visage derrière des oripeaux trompeurs. " D'aucuns nous parlent d'un islam, d'un christianisme, d'un judaïsme des Lumières : lisez les textes ", dit le philosophe. En envoyant un bon coup de karcher dans les trois directions : Coran, Bible, Torah ; trois modèles pour un même anti-monde.

Athéisme athée

Michel Onfray conclut : " Il nous faut un athéisme athée ". Stigmatisant au passage l'athéisme " fidèle " (aux valeurs chrétiennes) d'un Kant hier, d'un Comte-Sponville aujourd'hui. Cela passe par la restauration des pleins pouvoirs à la philosophie, contre la théologie. Rétablir la République (la res publica) en nettoyant les scories laissées par le judéo-christianisme dans nos institutions. Rethéoriser la laïcité pour ne plus la confondre avec la tolérance du " tout se vaut ". Rendre au corps sa place véritable, en fabriquant de nouveaux liens sociaux sur base d'une vision du corps hédoniste. Et en adoptant une philosophie " conséquentialiste " - c'est-à-dire en posant la question des conséquences de ses actes, comme moteur d'action et de réflexion -, et une logique de propositions et de solutions.

Le débat qui suivi fut vif (Éric-Émmanuel Schmitt : " c'est intéressant, je ne suis d'accord avec rien de ce que vous avez dit "). Michel Onfray pratiquant parfois l'ellipse assaisonnée d'un sens de l'humour-pirouette. Mais, répondant à quelqu'un qui l'interrogeait sur son manque de nuances : " la philosophie meurt d'être tellement nuancée qu'elle n'existe plus ".

Alain Dauchot


Si Michel Onfray avait été curé, il aurait sans aucun doute rempli les églises. Jeune (il est né en 1959), portant beau - de noir vêtu, la mèche ondulante tombant sur des lunettes rectangulaires -, le verbe facile, maniant avec aisance l'arme de l'humour, il s'est trouvé le 3 février dernier face à un Janson plein comme un oeuf (certains auditeurs ayant même dû s'asseoir sur les marches). Au menu, ce soir-là : l'athéologie, un néologisme qu'il a emprunté à Georges Bataille, ou une attaque en règle contre les religions. Et les plats n'ont pas manqué de piquant !



Traité d'athéologie : physique de la métaphysique, Michel Onfray, Grasset, 2005.

Prochain rendez-vous de " Cultures d'Europe " : le 20 avril, avec Boris Cyrulnik qui parlera d' " Écritures et résilience ".

 
  ESPRIT LIBRE > MARS 2005 [ n°29 ]
Université libre de Bruxelles