[page précédente]    [sommaire]    [page suivante]  
esprit libre

[coup de projecteur]
 
 
 
Au coeur des volcans, avec Alain Bernard

Esprit Libre : Vous êtes volcanologue, quels sont vos domaines de recherche ?
Alain Bernard : Ma spécialité est la géochimie. Je travaille avec plusieurs collaborateurs du Service Volcanologique indonésien (Java, Sumatra...). Nous organisons une à deux fois par an des missions communes. Dans cette zone du globe terrestre, l'activité volcanique est la plus intense ; on y dénombre pas moins de 150 volcans actifs, susceptibles de se réveiller à tout moment. C'est donc un magnifique laboratoire... Nous appliquons des méthodes géochimiques (celles des fluides et des gaz) pour mieux connaître les volcans et donc améliorer la prévention des éruptions en détectant les " early warnings ", c'est-à-dire les signes précurseurs d'une activité volcanique. Ces méthodes sont complémentaires des recherches en géophysique (surveillance sismique des volcans). Ma spécialité est l'étude des lacs de cratère : le lac agit comme un piège qui va capter toutes les émanations de gaz, ce qui nous permet de les analyser. Nous mesurons également les différences de températures à la surface du lac. Lorsqu'il y a un apport de magma frais, nous pouvons donc le savoir et le quantifier.

Esprit Libre : La difficulté est de faire un juste diagnostic, qui rassure ou qui alerte...
Alain Bernard : Exactement. Les conséquences sont énormes : il s'agit de savoir si oui ou non, il faut évacuer une zone. Des milliers de vies humaines sont en jeu... Le risque est d'ailleurs en augmentation car la population de ces régions est en pleine croissance (on est passé de 45 millions au début du XXe siècle à 218 millions actuellement). Or, les moyens financiers en Indonésie sont insuffisants pour maintenir efficacement un réseau d'observatoires. On compte pourtant, en permanence, 5 volcans qui sont en état d'alerte à des degrés divers. Heureusement, il n'y a eu que peu de victimes ces 30 dernières années. Mais en 1883, par exemple, l'éruption du Krakatau a fait 30.000 morts, déclenchant également un tsunami.

Esprit Libre : Les conséquences d'une éruption peuvent durer des années...
Alain Bernard : On l'a vu, par exemple, après l'éruption du Pinatubo, aux Philippines. Des coulées de boues ont continué à faire des victimes des années après.

Esprit Libre : Au-delà des morts et des effets dévastateurs au niveau " local ", les éruptions peuvent avoir un impact mondial, sur le climat ou le taux de pollution...
Alain Bernard : Certainement. Les matériaux volcaniques projetés dans la très haute atmosphère vont y rester pendant de longs mois et altérer le climat, voire modifier la concentration d'ozone dans la stratosphère. L'éruption du Tambora en 1815 a eu des conséquences sur le climat, en 1816, que l'on a appelée " l'année sans été " dans l'hémisphère Nord. Il a gelé en plein mois de juillet à des endroits où il n'avait jamais gelé auparavant. À certains endroits, toutes les récoltes ont été perdues et les prix des denrées de première nécessité ont flambé !

Esprit Libre : En fait, l'activité volcanique a essentiellement lieu dans l'hémisphère Sud mais les implications d'une telle activité sont mondiales. Est-ce que les moyens financiers mis en oeuvre pour étudier les volcans et donc prévenir les catastrophes sont suffisants ?
Alain Bernard : En Europe les pays les plus concernés par l'activité volcanique sont l'Italie (avec le Vésuve et l'Etna) et la France. C'est l'Italie qui investit certainement le plus au niveau de la surveillance. Les pays des régions équatoriales ou tropicales sont les plus concernés mais les moyens sont beaucoup trop limités pour permettre une prévention suffisante. C'est d'ailleurs pourquoi nous essayons d'aider des pays comme l'Indonésie. L'aide aux pays en voie de développement doit aussi être scientifique pour palier leurs manques. Il est évidemment beaucoup plus médiatique d'envoyer à un moment une aide humanitaire après un gros cataclysme... Pour notre part, nous sommes partiellement financés par le FNRS belge. Le CNRS français nous aide également à fonctionner. Mais les moyens restent insuffisants pour pouvoir réagir quand quelque chose d'inquiétant se passe...

Esprit Libre : Aujourd'hui, on utilise des technologies modernes pour surveiller les volcans, notamment les satellites...
Alain Bernard : Nous les utilisons également. De nombreuses données provenant des satellites sont d'ailleurs à disposition des chercheurs sur Internet. Ce sont des outils irremplaçables. Notamment pour l'Indonésie où l'accessibilité des volcans n'est pas évidente.

Esprit Libre : Il semble difficile de tirer des conclusions générales sur l'activité volcanique...
Alain Bernard : Chaque édifice est particulier et devrait être étudié de près. En Indonésie, les éruptions sont dites Pliniennes (Pline le jeune et Pline l'ancien avaient décrit l'éruption du Vésuve). Ils ont un caractère particulièrement explosif et donc menaçant. Il est dès lors essentiel de pouvoir les " profiler " pour réduire au maximum les risques pour les populations.

Alain Dauchot


Responsable du Laboratoire de géochimie et minéralogie appliquée du Département des sciences de la Terre et de l'environnement de l'ULB, Alain Bernard et son équipe étudient les volcans asiatiques depuis une quinzaine d'années. Son terrain de recherche : les 150 cratères qui dessinent le paysage indonésien.



 
  ESPRIT LIBRE > AVRIL 2005 [ n°30 ]
Université libre de Bruxelles