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Tsunami : chronique d'une catastrophe annoncée

Si le grand public ne l'a pas vu venir, les spécialistes de la tectonique des plaques de cette région du Sud-Est asiatique, eux, s'y attendaient... Un séisme majeur (de magnitude >8.0) est en effet un événement géologique normal pour une zone de subduction (là où deux plaques tectoniques de l'écorce terrestre entrent en collision). C'est aussi un événement récurrent qui surviendra donc encore à de nombreuses reprises dans le futur. On pourrait même craindre une catastrophe plus importante, le séisme du 26 décembre n'étant que le quatrième par ordre de magnitude jamais enregistré par les sismographes.

Tensions accumulées

À l'origine, un séisme est le résultat de l'accumulation lente des tensions dans l'écorce terrestre, conséquence de l'affrontement entre deux plaques tectoniques. Le séisme se produit quand ces tensions dépassent le point de résistance des roches qui se fracturent brutalement. Il est donc particulièrement important de déterminer la chronologie des séismes dans une zone de subduction. Plus la période entre deux séismes majeurs augmente, plus les tensions accumulées deviennent importantes et le risque d'observer un séisme majeur s'accroît.

Actuellement, c'est l'analyse géologique des récifs ou microatolls coralliens qui permet de reconstituer dans le détail l'histoire sismique de ces zones de subduction. L'étude des variations de la croissance des organismes coralliens offre en effet des archives très précises des mouvements violents de l'écorce terrestre qui accompagnent les séismes majeurs, mouvements pouvant atteindre plusieurs mètres d'amplitude. Dans un récif, les organismes coralliens se répartissent depuis la surface jusqu'à quelques dizaines de mètres de profondeur. Toute surrection (soulèvement de l'écorce terrestre) se traduira par la nécrose de la partie de la colonie nouvellement émergée. La partie demeurant sous le niveau de la mer continuant à vivre et à croître. L'étude détaillée de ces réajustements de niveau de la mer permet de localiser la zone affectée par le tremblement de terre mais aussi d'évaluer la magnitude de ces paléo-séismes.

Toutes les 230 années

Ces études de paléosismologie ont permis de reconstituer la chronologie de l'activité sismique de la région de Sumatra au cours du dernier millénaire. Elles montrent que des séismes majeurs se produisent en moyenne toutes les 230 années et - constat plus alarmant - que ces séismes majeurs peuvent se succéder par paires avec un intervalle de quelques dizaines d'années, comme cela a été le cas en 1797 et en 1833, où deux séismes majeurs, respectivement de magnitudes 8.4 et 9.0, se sont produits dans un même secteur de la zone de subduction en l'espace de 36 ans.

Pas de système d'alerte

Pourquoi aucun système d'alerte tsunami n'avait été installé dans l'Océan indien ?
Ces systèmes fonctionnent pourtant depuis plus d'un demi siècle dans l'Océan pacifique et avec une efficacité certaine. Des géologues du Service géologique australien avaient récemment évalué les risques de tsunami pour les côtes Nord-Est de l'Australie (AUSGEOnews, septembre 2004). Les conclusions de leur étude insistaient sur la nécessité de la mise en place rapide d'un réseau de surveillance des zones sismiques de l'Indonésie.

Pourquoi ne pas avoir informé les populations locales des risques potentiels des tsunamis ? Lors du terrible séisme de 1960 au Chili (le plus important jamais enregistré avec une magnitude de 9.5), les Chiliens qui avaient une longue expérience de ces mouvements particuliers de la mer qu'ils appellent maremoto ont réagi correctement en s'enfuyant vers les collines après avoir vu la mer opérer un mouvement de reflux. L'Indonésie avait pourtant été confrontée dans un passé très récent à de nombreux tsunamis, il est vrai d'une ampleur beaucoup plus faible que celui du 26 décembre. Ainsi, pas moins de 13 tsunamis ont touché les côtes indonésiennes depuis 1965, en faisant au total 3.200 victimes, dont le tsunami qui a ravagé les côtes de l'île de Florès (une des petites îles de la Sonde) en 1992 et dont la vague qui avait une hauteur de 25 m a tué 2.500 indonésiens.

C'est donc un constat amer qui est dressé après chaque catastrophe, on le savait et on n'a rien fait en matière de prévention ou d'éducation des populations afin de réduire le coût en vies humaines que tous les dons, aussi élevés soient-ils, ne pourront jamais réparer.

Alain Bernard
Laboratoire de géochimie et minéralogie appliquée

Plus de deux mois après le catastrophique tsunami du 26 décembre 2004, la liste des victimes continue à s'allonger. Elle s'élève pour la seule Indonésie à plus de 230.000 morts et disparus. Le monde entier est surpris par l'ampleur de la catastrophe et découvre l'effroyable pouvoir destructeur de ces raz de marée que sont les tsunamis. Aurait-on pu éviter ce désastre ?



 
  ESPRIT LIBRE > AVRIL 2005 [ n°30 ]
Université libre de Bruxelles