Le latin... à la rescousse du français ?
Esprit Libre : Est-ce que selon vous l'apprentissage du latin peut être considéré comme élitiste ?
Marc Wilmet : De mon temps, on orientait les meilleurs élèves - de tous les milieux - vers le latin. C'est-à-dire vers les études qui étaient
considérées comme les plus prestigieuses et qui permettaient de faire toute une série de carrières à l'université, le latin
étant obligatoire pour le droit, la médecine, et naturellement la philologie romane. Ces contraintes ont aujourd'hui disparu.
Bien sûr, les enfants des milieux fortunés étaient poussés vers ces carrières - même les moins doués - qui " prenaient leur
temps "... Il y avait donc à l'époque un certain élitisme, mais cet élitisme-là n'a plus de sens. On devrait seulement se
demander si le latin est intéressant ou non pour former nos étudiants...
Esprit Libre : Vous ne devez pas être très heureux de la récente enquête européenne PISA qui démontre les lacunes de nos élèves en français.
Est-ce que le latin peut permettre de mieux apprendre le français ?
Marc Wilmet : Il est vrai que la Belgique ne brille pas par son classement dans cette enquête... On constate un réel déficit dans l'enseignement
de la langue française chez nous. De la langue parlée et écrite. La raison principale, à mon sens, est que les professeurs
sont obligés de consacrer l'essentiel de leurs forces à la maîtrise de l'orthographe. Rien que pour l'accord du participe
passé, 80 heures de cours y sont consacrées ! Je crois que le latin, qui est une langue synthétique, peut contribuer à un
meilleur apprentissage du français. Et le cours de latin est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que le cours de français
ne remplit pas son rôle. Les véritables exercices rentables pour le français se font au cours de latin. Prenons la version,
par exemple : elle vous oblige à démonter un texte et à le transcrire en français, en essayant de garder quelque chose de
cette écriture latine merveilleuse. Le latin semble avoir été fait pour les juristes et pour les grammairiens ; il vous donne
des indices qui vous précisent la logique de chaque construction de phrase. C'est donc un exercice très formateur d'un point
de vue intellectuel et aussi d'un point de vue stylistique pour l'apprentissage de notre langue.
Esprit Libre : Et au-delà de l'apprentissage du français ?
Marc Wilmet : L'initiation au latin permet de structurer l'esprit, d'apprendre à raisonner, d'acquérir du style en français. Au-delà de
cela, il vous met également au contact de toutes les langues romanes et donc de l'ensemble de la civilisation méditerranéenne.
Entre Espagnols, Italiens et Français, on peut se comprendre grâce au tronc commun qu'est le latin. Les peuples romans devraient
d'ailleurs exploiter d'avantage cette capacité qu'ils ont de se comprendre sans trop de difficulté, à condition d'y mettre
un peu du sien. Cela renforcerait encore le sentiment d'appartenir à une culture aux racines communes, à une des grandes civilisations
du monde. Et cela permettrait peut-être aussi de mieux résister à l'envahissement de l'anglo-saxon...
Ceci dit, je lisais récemment un article du Daily Mail où l'on découvre que les Anglais prônent très fort l'enseignement du...
latin, en disant: " ...cette langue a été à l'origine de la nôtre ". Et nous, francophones de naissance, nous irions l'abandonner
!?
Esprit Libre : D'aucuns estiment que faire apprendre le latin en secondaire se fait en dépit de l'apprentissage d'autres langues modernes...
Marc Wilmet : Il y a une sacralisation de l'apprentissage des langues modernes qui fait que l'on finit par négliger sa propre langue maternelle.
Dans cette conception purement pratique, " économique " et à courte vue, la question du latin, c'est-à-dire une langue dite
" morte " face aux langues dites " vivantes ", pèse effectivement peu dans la balance... Mais ceci est une autre histoire
!
Alain Dauchot
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La polémique est née suite à une prise de position de la ministre-présidente de la Communauté française, Marie Arena, qui
s'est rétractée depuis : l'apprentissage du latin allait-il disparaître des options proposées dans l'enseignement secondaire
? Nous avons demandé à Marc Wilmet, éminent grammairien et président du Conseil supérieur de la langue française, ce qu'il
pensait de toute cette agitation. Et si l'avenir du français passait par le latin...?
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