Maladie du sommeil : le trypanosome désarmé ?
Sida, malaria, lèpre... Le continent africain ne cesse de panser ses multiples blessures. Une maladie peut-être moins médiatique,
mais pourtant mortelle, s'ajoute à cette trop longue liste : la maladie du sommeil et son correspondant pour le bétail, la
nagana, qui prive l'Afrique de plus de 80% de son cheptel. L'impact sur l'économie et la santé publique est assurément dévastateur.
Maladie du sommeil et nagana sont toutes deux causées par un parasite véhiculé par la mouche tsé-tsé : le trypanosome. Fait
remarquable, le sang humain contient un facteur capable de tuer le trypanosome. Sauf deux lignées du parasite : Trypanosoma
brucei rhodesiense et Trypanosoma brucei gambiense. Le premier parasite est responsable de la maladie du sommeil dans la partie
Est de l'Afrique ; l'autre est caractéristique de la partie Ouest.
Multiples manteaux
Depuis près de 20 ans, le Laboratoire de parasitologie moléculaire de l'ULB étudie le trypanosome, un parasite passionnant
qui réussit à tromper le système immunitaire de son hôte en changeant constamment de " manteau " : puisque la quasi-totalité
de sa surface est couverte d'une protéine (VSG) contre laquelle l'organisme infecté est capable de produire des anticorps,
il déjoue cette défense en transformant sans cesse cette protéine. Le trypanosome est donc un excellent modèle pour étudier
la variation antigénique, ce changement continuel de composants de surface qui déroute le système immunitaire et empêche la
conception d'un vaccin.
C'est cette capacité d'adaptation qui intéresse le Laboratoire de parasitologie moléculaire de l'IBMM (Institut de biologie
et de médecine moléculaires) sur l'Aéropole de Charleroi. Sous la direction du professeur Etienne Pays, les chercheurs ont
réussi à décrypter les processus génétiques grâce auxquels les trypanosomes peuvent changer constamment de " manteau " pour
échapper aux anticorps.
En 1998, les recherches sur la variation antigénique ont permis à ce laboratoire d'effectuer une percée inattendue. Il a identifié
le gène grâce auquel Trypanosoma brucei rhodesiense neutralise le facteur naturel destructeur du parasite chez l'homme et
lui permet donc de se développer : le gène SRA, Serum Resistance Associated.
L'antigène " mal foutu "
Le gène identifié, restait à découvrir comment il interagissait avec ce facteur destructeur. C'est désormais chose faite :
les chercheurs de l'IBMM ont montré que le gène SRA fabrique un antigène VSG anormal qui, du fait de son anomalie, est capable
de bloquer une apolipoprotéine du sérum humain, apoL-I. Or, cette apolipoprotéine est bien le facteur naturel qui tue les
trypanosomes. C'est donc cette substance qui dispense l'homme de la maladie du sommeil dans la majorité des cas mais aussi
celle qui manque aux animaux pour se protéger.
Mieux : les chercheurs ont réussi à générer une apoL-I non neutralisable par la protéine SRA et capable, semble-t-il, de tuer
Trypanosoma brucei rhodesiense.
Perspectives
Cette recherche fondamentale (qui a d'ailleurs valu au laboratoire une parution dans la prestigieuse revue scientifique Nature)
ouvre de séduisantes perspectives thérapeutiques pour le continent africain : la mise au point d'un nouveau traitement contre
la maladie du sommeil chez l'homme et le développement d'un bétail qui serait naturellement résistant aux trypanosomes, donc
économiquement productif même en zones d'endémie.
Reste bien sûr à poursuivre les travaux et à trouver les partenaires qui pourraient financer les très probables applications
pharmaceutiques...
Nathalie Gobbe
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45 millions d'êtres humains, 25 millions de bovins exposés : la maladie du sommeil et la nagana font des ravages sur le continent
africain. À la source de ce fléau : le trypanosome. Une équipe de l'Institut de biologie et de médecine moléculaires (IBMM)
progresse à grands pas dans l'étude du parasite et de son tueur, apoL-I.
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Infos : www.ulb.ac.be/ibmm
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