Après coup
Pour une Europe forte
Colonialisme, impérialisme, fascisme, communisme, guerres mondiales... De quoi marquer pour longtemps un certain état d'esprit
européen, culpabilisé par une Histoire faite de massacres. Jusqu'à cette journée du 11 septembre où, bien vite, les consciences
se sont à nouveau convaincues d'une chose : " on nous frappe, donc nous sommes coupables ! ". L'Europe est un géolier qui
vous jette en prison et qui vous donne les clés pour en sortir... Selon Pascal Bruckner, voilà le paradoxe dont nous, européens,
souffrons. Un exemple ? Le colonialisme, qui a, à la fois, accouché de l'oppression, du pillage, mais aussi de l'idée démocratique
et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'histoire européenne est un cheminement parallèle du progrès et du crime,
nous dit l'écrivain. Nous serions la seule civilisation dans l'Histoire à avoir su se mettre à distance de sa propre barbarie.
Cet auto-examen permanent est tout à notre honneur dit Bruckner, mais il est aussi le germe d'un certain défaitisme.
Remettre tous les crimes sur la table
Pour étayer sa démonstration, l'écrivain fait une comparaison entre Christianisme et Islam, ou cite la guerre d'Algérie. Dans
le premier cas, il met en évidence la reconnaissance de ses crimes par l'église catholique ; un travail sur soi que l'Islam
n'a pas encore effectué. De la même façon, les Français lorsqu'ils parlent de la guerre d'Algérie s'arrêteraient plus volontiers
aux crimes français et occulteraient ceux commis par le FLN. Mauvaise conscience, toujours. En d'autres mots : l'attention
obsessionnelle du passé nous rendrait aveugles et impuissants face aux crimes du présent. Qu'avons-nous fait face à l'ex-Yougoslavie,
au génocide rwandais, à la Tchétchénie ?
Pour une armée européenne
Nous, pratiquons, depuis les deux guerres mondiales, la politique du " plus jamais ça ". Cela tend à nous rendre aveugles
et inactifs sur notre propre terrain : en Bosnie, en Croatie, au Kosovo... L'Amérique, elle, a l'ambition de refonder l'Histoire.
C'est le pays élu par Dieu, délivrant les autres de leurs malheurs. L'Europe, dit Bruckner, est absente de tous les conflits
de la planète. Et d'évoquer une solution : la création d'une armée européenne.
Complexes versus idéalisme
Nous serions dans l'incapacité, d'une part, de rembourser les États-Unis de la dette de la libération. D'autre part, nous
souffririons du complexe de Peter Pan : en cas de danger, le grand frère US serait toujours là pour nous aider. D'où notre
haine à leur égard. Pourtant, Europe et États-Unis sont condamnés à s'entendre. Mais l'Europe doit devenir politique et sortir
de son carcan économique. Des USA, il nous faut par contre redouter l'idéalisme. La crise irakienne serait d'abord, selon
Bruckner, l'expression d'une volonté de rappeler le bien au monde entier. Le " plus jamais la guerre " européen est positif,
mais notre continent doit aller au-delà de ce constat si il veut, lui aussi, jouer un rôle dans la cour des grands.
L'écrivain montre par ailleurs en quoi les USA ont une vision idéaliste, proche de certains régimes... marxistes, estimant
leurs valeurs applicables au monde entier. Et se permettant par là même de se passer des règles lorsqu'elles ne leur conviennent
pas (traitement irrespectueux des prisonniers afghans à Guantanamo, etc.). Autre reproche : les Américains vivent sur l'illusion
de leur surpuissance. Or, " l'ivresse de la réussite précipite la chute des vainqueurs ".
Cette puissance militaire ne durera pas. Les USA devront composer et auront donc besoin d'une Europe forte, capable et de
les critiquer, et de les épauler. Nous serions condamnés à resserrer nos liens. Il nous manque un peu d'orgueil, conclut l'écrivain.
Car l'Europe est de loin le laboratoire politique le plus passionnant. Il nous faut éviter une " helvétisation " rampante
de l'Europe, se préparer à de nouvelles conquêtes, nous affirmer avec un peu plus de force. Nous avons besoin, en Europe,
d'une crise majeure pour qu'il y ait sursaut ", dit encore Pascal Brukner : " Le divorce actuel avec les USA peut être bénéfique
".
Alain Dauchot
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C'est Pascal Bruckner qui a eu le privilège d'inaugurer le cycle de conférences " Cultures d'Europe " lancé à l'université
le 18 mars dernier. Quelques heures à peine avant les premiers bombardements sur l'Irak, l'écrivain et philosophe faisait
part de sa position résolument pro-intervention et expliquait pourquoi. Toujours prompt à nager à contre-courant, il avait
intitulé sa conférence " L'Europe et l'Amérique : la fatigue et l'enthousiasme ". Compte-rendu.
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Prochain invité :
Le prochain invité de Cultures d'Europe est André Comte-Sponville, philosophe et écrivain. Il viendra le vendredi 23 mai à
20h à l'auditoire P.-É. Janson, av. F.D. Roosevelt 48, 1050 Bruxelles. Thème de sa conférence : " Mondialisation et civilisations
: quelles valeurs pour le XXIe siècle ? ". Infos : Service cérémonies 02 650 23 03.
L'invité
Pascal Bruckner est né en 1948 à Paris. Il est titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un doctorat de lettres. Il fut,
en 1986, professeur à l'Université d'État de San Diego, en Californie, et à la New York University de 1987 à 1995. Il a également
été maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, de 1990 à 1994. Depuis 1987, il collabore au Nouvel Observateur.
Auteur de plusieurs ouvrages, Pascal Bruckner a obtenu le prix Médicis de l'essai en 1995, avec " La tentation de l'innocence
", le prix Renaudot en 1997, avec " Les voleurs de Beauté " et le prix européen du livre d'économie en 2002 pour son essai
" Misère de la prospérité ".
Les cinéphiles savent qu'il est aussi l'auteur de " Lunes de fiel ", adapté à l'écran par Roman Polanski.
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