Nos Anciens, aux quatre coins du Monde...
Filip Francqui, à travers le Japon
L'histoire commence en 1999, quand je quitte l'ULB avec une licence en Sciences physiques. Après plusieurs entretiens, je
débute dans le département informatique d'une entreprise américaine de marketing et de stratégie spécialisée dans l'industrie
pharmaceutique. Je m'occupe du support des bases de données et des serveurs installés chez nos clients. A côté de ce travail,
j'étudie le néerlandais et m'intéresse à ce qui se passe chez nos voisins des Pays-Bas. Il m'apparaît rapidement qu'ils ont
une industrie high-tech très développée. Ils sont généralement directs, pragmatiques et... ont un sens de l'humour à couper
au couteau.
Ainsi en septembre 2000, je quitte la Belgique pour les Pays-Bas et pour un emploi chez ASML, le numéro un technologique de
la " nanolithographie ". ASML conçoit, assemble et vend des machines pour imprimer des circuits électroniques dont la taille
descend actuellement jusqu'à 42 nanomètres. Je suis ingénieur responsable du développement du process, et ensuite de la conception
et de l'intégration des tests. J'habite à Eindhoven et me rends régulièrement en Belgique à l'IMEC (Interuniversitair Micro
Elektronica Centrum). Le monde de la lithographie est international. J'ai la chance de voyager en Europe mais également en
Asie afin de nouer des contacts avec les utilisateurs de nos machines.
En septembre 2005, ASML m'envoie au Japon pour une durée de deux ans dans le but de soutenir l'introduction d'une technologie
révolutionnaire, appelée " Immersion ". La gageure de cette technologie réside dans l'addition de liquide dans le champ du
laser destiné à imprimer les nano-circuits. Je suis responsable des résultats des tests finaux sur nos machines dont le prix
à l'unité dépasse les 30 millions d'euros. Le secteur de nos clients (Toshiba, NEC, MEI...) est très compétitif et les composants
électroniques (processeurs, mémoires...) fabriqués avec nos machines ne sont actuels que durant un temps très court.
Mon passage de l'environnement R et D hollandais à celui de la production au Japon est abrupt. Je suis pour la première fois
réveillé en pleine nuit par un coup de téléphone professionnel. Je suis également soumis à des pressions dues aux impératifs
de la production. Cette nouvelle situation me permet toutefois d'élargir considérablement mes connaissances techniques. À
cela s'ajoute le choc culturel des premiers mois passés à Nagasaki. Ma méconnaissance de la langue et des coutumes est source
d'incompréhension. Je me retrouve également projeté dans des situations loufoques : j'apprends à courir en pantoufles pour
suivre le pas effréné de mes homologues nippons dans les couloirs des usines.
La méthode japonaise, très choquante pour certains Européens (lire Amélie Nothomb), n'est certainement pas des plus reposantes.
Le client est " Dieu tout-puissant ". Le travail passe avant la famille. Le détail n'est pas un détail. Malgré le fait que
ces postulats soient du domaine du non-dit, ils pèsent sur toutes les discussions techniques. Lorsque nous sommes en réunion
chez nos clients, nous devons être préparés à répondre à toutes les questions et à toutes les exigences (davantage de tests,
spécifications accrues). Nos présentations doivent être extrêmement bien préparées : ne pas savoir ou ne pas pouvoir est impardonnable.
Les journées de travail n'en deviennent que plus longues. Et puisque le Japon n'a pas d'industrie électronique localisée,
il est tout a fait normal de prendre l'avion le lundi matin pour se rendre au travail.
Le Japon est depuis plusieurs décennies un centre d'excellence en matière de production industrielle. Les ingénieurs japonais
ont acquis un know-how et une expertise hors pair qu'ils redoutent de partager en dehors de leur entreprise - parfois même
au sein de celle-ci -, et davantage encore si leur interlocuteur n'est pas japonais. Ceci explique les mesures que nous devons
prendre afin de rassurer nos clients sur la confidentialité avec laquelle nous traitons leurs informations. Au-delà de la
discrétion élémentaire avec laquelle sont traitées les données du client, la discrétion dans la manière de s'informer sur
son process est capitale. Il ne faut poser que les questions directement justifiées par le service au client.
Au Japon, le monde des affaires est basé sur des relations personnelles à long terme. La microélectronique ne déroge pas à
la règle. C'est ainsi qu'il a fallu 5 années à ASML pour créer et renforcer les relations de confiance nécessaires à son envol
au Japon. À condition de faire preuve de disponibilité et de dévouement, il est réellement possible d'instaurer avec le client
des rapports durables. Ces éléments semblent contribuer à faire de ce pays un partenaire exceptionnel, à condition d'y être
initié. Ainsi, même si la Chine pointe son nez pour beaucoup d'investisseurs, le Japon garde une longueur d'avance et reste
" the place to be " dans les semi-conducteurs.
Chers étudiants, chers jeunes diplômés, attention : voilà où peut vous mener la physique!
Filip Francqui... ...est licencié en Sciences physiques. Il travaille au Japon depuis septembre 2005, pour une société spécialisée en nanolithographie.
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C'est toujours très motivant d'apprendre que vous intéressez des gens, à l'autre bout du monde. Même si ce n'est pas votre
objectif. J'étais donc heureusement surpris lorsque j'ai reçu l'e-mail d'Albert Van Wetter, président de l'UAE, me demandant
de rédiger un article sur l'aventure que je vis actuellement au Japon...
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