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Je rêvais d'un autre monde


Esprit Libre : Le terme est mis à toutes les sauces. Alors, qu'est-ce que c'est vraiment, la mondialisation ?
Denis Stokkink : Depuis le XIXe siècle, on a pu constater dans l'histoire économique une succession de cycles de croissance, qui durent plus ou moins 25 ans, et de cycles de décroissance, qui durent eux aussi environ 25 ans. Ce que l'on appelle " la mondialisation " est un cycle de croissance qui a commencé aux alentours de 1990 et qui présente un certain nombre de caractéristiques économiques. Celles-ci sont les mêmes pour tous les cycles de croissance : financiarisation de l'économie, internationalisation des échanges et augmentation de la productivité en même temps qu'une augmentation des inégalités sociales. De plus, à chaque cycle de croissance est aussi liée une innovation technologique : vapeur, électricité… Cette fois, ce sont les technologies de l'information et de la communication (TIC). La mondialisation est donc tout simplement une période de développement du capitalisme. Ni plus ni moins. Ce n'est donc pas quelque chose de nouveau. On a appelé le cycle actuel " mondialisation ", on aurait pu l'appeler autrement. Pour vous donner un exemple, on constate qu'un cycle qui ressemble très fort à celui-ci est celui dit de " la belle époque ", à la fin du XIXe siècle, début XXe. On aurait aussi pu l'appeler " mondialisation ".

Esprit Libre : On parle aussi de " globalisation "...
Denis Stokkink : Aujourd'hui, une superpuissance (en l'occurrence les États-Unis) domine le monde au niveau économique et, du même coup, porte et impose une domination culturelle. Nous le vivons dans notre vie quotidienne, dans notre alimentation, dans les films que nous allons voir. C'est cela, la " globalisation " : c'est la mondialisation plus ses conséquences culturelles, mais aussi géostratégiques et militaires.

Esprit Libre : Poursuivons notre explication de textes : qui sont les " anti-mondialistes " ?
Denis Stokkink : Aujourd'hui, le cycle dans lequel nous sommes se caractérise essentiellement, au niveau social, par une croissance des inégalités. Les tenants de la mondialisation libérale soulignent à juste titre que la richesse augmente, tant au Nord qu'au Sud, mais ce qu'ils ne disent pas c'est que les plus riches deviennent de plus en plus riches et les plus pauvres de plus en plus pauvres. Ceux qui veulent lutter contre ces inégalités ne sont en réalité pas anti-mondialistes mais bien alter-mondialistes. Ils veulent une autre mondialisation. Ils puisent leurs racines dans l'internationalisme, dont une figure de proue était Jean Jaurès.

Esprit Libre : Qu'est-ce qui se passe si l'on ne trouve pas d'alternative à cette mondialisation ?
Denis Stokkink : Il faut savoir que, systématiquement, entre chaque cycle, il y a des ruptures, des tensions économiques et sociales, des craquements qui prennent le plus souvent la forme de guerres… La fin du cycle de croissance économique dit " belle époque " s'est traduit par la première guerre mondiale. La question aujourd'hui est donc la suivante : allons-nous vers une guerre ou bien n'essayerions-nous pas de faire autre chose ? C'est l'enjeu du combat alter-mondialiste. Et je pèse mes mots. Le résultat du premier tour des élections présidentielles françaises et la montée de l'extrême droite dans de nombreux pays européens, dont le nôtre, m'amènent à dire que tous ces éléments sont précurseurs d'un durcissement qui va mener à des tensions de plus en plus fortes. L'urgence, c'est l'alternative.

Esprit Libre : Que peut-on faire ?
Denis Stokkink : Le projet alternatif se construit depuis quelques années au travers de mouvements politiques progressistes, de syndicats, mais aussi de la société civile. L'enjeu est de faire en sorte que ces trois ensembles d'acteurs se parlent, agissent ensemble et contribuent au renforcement des espaces démocratiques et des puissances publiques. Ils doivent concevoir, en dehors de toute chapelle, une alternative à la mondialisation libérale : économie sociale et solidaire, autres modes de consommation et de production, démocratie citoyenne… Un peu partout dans le monde, les alternatives existent : l'enjeu est de les réunir et de faire que chacun les porte de manière globale. Il faut donner aux citoyens du monde entier des perspectives d'idéal portées par des valeurs de justice, d'égalité, de solidarité.

Nicolas Van den Bossche

Denis Stokkink est économiste, diplômé de l'ULB. Il préside le Centre régional du libre examen de Bruxelles. Avec Anne Peeters, politologue elle aussi issue de l'ULB, il vient de diriger un ouvrage intitulé " Mondialisation : comprendre pour agir ".



Mondialisation. Comprendre pour agir. Enjeux historiques, économiques, sociaux, technologiques, militaires ... et stratégies d'action, sous la direction de Anne Peeters et Denis Stokkink, Éditions Complexe, Collection GRIP, 2002, 197 pages.

 
 ESPRIT LIBRE > JUIN 2002 [ n°5 ]
Université libre de Bruxelles