Une nouvelle phase ascendante ?
À cette question, une réponse scientifique pourra être donnée vers 2015-2020. D'ici là tout n'est qu'hypothèse de travail. Référons-nous à Kondratiev. Dans son célèbre article de 1926, N. D. Kondratiev met en avant quelques caractéristiques de la phase ascendante de l'onde longue. Confrontons quatre de celles-ci avec la réalité économique des années nonante : " Au début de la phase ascendante… il y a une application industrielle massive des inventions de la période précédente. ", " Le début de la phase ascendante coïncide avec l'élargissement des relations économiques mondiales. ", " Le début de la phase ascendante connaît un regroupement des forces productives. ", " Le début de la phase ascendante requiert une extension du système du crédit et des bourses. "… Ces quatre caractéristiques sont rencontrées. Elles permettent de conclure que l'économie des pays développés traverse vraisemblablement une phase ascendante de Kondratiev.
Avec Prebisch, Furtado, Emmanuel… Samir Amin appartient à une génération d'économistes tiers-mondistes qui a tenu le haut du pavé pendant la phase de la décolonisation. Sa réflexion globale, que je ne partage pas forcément, me semble stimulante, digne d'être prise en considération par tous ceux qui se penchent sur le signification de la mondialisation aujourd'hui. Cette réflexion concerne l'hégémonie américaine. Samir Amin met à juste titre l'accent sur le fait que celle-ci repose sur deux jambes : la puissance économique et la puissance militaire. Sur le plan militaire, il est indéniable que les États-Unis ont actuellement une suprématie écrasante, notamment parce que, pionniers en matière de TIC, ils les ont massivement introduites dans les armements et parce qu'ils se dotent d'un budget militaire sans cesse croissant. Sur le plan économique, Samir Amin met en avant les faiblesses de l'Europe (absence de système productif européen, absence de sociétés multinationales européennes…) pour conclure à la suprématie américaine. Il en conclut que les États-Unis veulent imposer un monde unipolaire. Cette conception " s'opposera de plus en plus à celle d'une mondialisation multipolaire ". Les autres pôles étant : l'Europe, la Chine et l'Asie du Sud-Est, l'Inde, voire la Russie et le tiers-monde en général. De cette opposition entre monde unipolaire et monde multipolaire, Samir Amin conclut que " le XXIe siècle ne sera pas le " siècle américain ". Il sera celui de gigantesques conflits et de montées de luttes sociales mettant en question l'ambition démesurée de Washington ".
Gérard Valenduc parle, quant à lui, d'un " paradigme techno-économique ". Ce paradigme résulte de la " convergence de plusieurs nouveaux systèmes technologiques, porteurs de nombreuses innovations incrémentales (mineures) et radicales. Sa caractéristique principale est de se diffuser dans l'ensemble des branches de l'économie, en modifiant à la fois les conditions de production, les moyens de production, les formes de distribution, les modes de consommation et les styles de vie ". En prenant cette définition à la lettre, on pourrait aisément démontrer qu'on est en présence d'un nouveau paradigme :
- les TIC (technologies de l'information et de la communication) se répandent dans " l'ensemble des branches économiques ". De surcroît, elles touchent tous les agents économiques : les ménages (50% des ménages des États-Unis ont un PC, et un tiers est relié à Internet), les entreprises marchandes, l'État ;
- les conditions de production se modifient : on passe du taylorisme à la " lean production " et les conditions de travail sont bouleversées (flexibilité, précarité…)
- de nouveaux moyens de production surgissent : construction d'ordinateurs, avionics, biotechnologies…
- l'e-business, le GSM… altèrent " le style de vie ".
Le passage d'un paradigme économico-technologique à un autre prend du temps : l'électrification a pris des décennies, le remplacement du charbon par le pétrole a nécessité plus d'un demi-siècle… Je pense que, depuis les années nonante, nous traversons la phase initiale d'un nouveau paradigme. Ce n'est pas l'avis de Gérard Valenduc qui met en question l'existence d'une " nouvelle économie " et
qui ne pense pas qu'on soit en présence d'une nouvelle phase ascendante du Kondratiev.
Jacques Nagels
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Les économies développées fonctionnent selon des cycles, ou " ondes longues ", se déroulant sur une période d'environ 50 ans divisée en une phase ascendante (± 25 ans) et une phase déclinante (± 25 ans). La question qui se pose aujourd'hui est la suivante : sommes-nous en présence d'une nouvelle phase ascendante depuis le début des années nonante ?
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Jacques Nagels, professeur à la Faculté des sciences sociales, politiques et économiques de l'ULB, a participé à l'ouvrage "Mondialisation. Comprendre pour agir. Enjeux historiques, économiques, sociaux, technologiques, militaires ... et stratégies d'action", sous la direction de Anne Peeters et Denis Stokkink, Éditions Complexe, Collection GRIP, 2002, 197 pages.
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