La mondialisation au service de Jean-Marie Le Pen
Le nationalisme économique : sortie de l'euro, retour au franc
Ce qui fait peut-être la spécificité politique mais aussi économique de Jean-Marie Le Pen, c'est le nationalisme. Dans cette vision, l'économique est soumis au politique, et non l'inverse. Alors que tant les socio-démocrates que les libéraux sont des " utilitaristes ", en ce sens que le seul objectif légitime qu'ils assignent à l'action politique est la maximisation du bien-être matériel de la collectivité, les militants d'extrême droite raisonnent davantage en termes de " puissance de la nation ", un concept beaucoup plus politique qu'économique. La souveraineté nationale est un absolu. Quand bien même on pourrait atteindre un surcroît de richesse matérielle par un abandon partiel de souveraineté, les " lepénistes " s'y opposent, car leur objectif suprême n'est en rien économique. C'est ce qui fait sans doute leur originalité et peut être leur force de séduction à l'heure où beaucoup de partis ont fait leur l'idée que le politique est soumis aux contraintes de l'économique du fait de la mondialisation.
Mondialisation = perte de souveraineté nationale
Si on comprend cela, on conçoit mieux qu'un des objectifs centraux de Jean-Marie Le Pen est la reconquête de l'autonomie nationale. Il valorise cet objectif en lui-même (il se veut le sauveur de la Nation Française, s'oppose à sa disparition), peu importe a priori les conséquences économiques. Jean-Marie Le Pen veut faire sortir la France de la monnaie unique, car il s'agit là d'un des attributs premiers de la souveraineté. Pour Le Pen, " la perte de souveraineté monétaire n'est qu'une étape vers la disparition totale de notre souveraineté et probablement vers la mondialisation générale du pouvoir de décision économique et politique ".
La pensée économique de Jean-Marie Le Pen est une forme de néo-mercantilisme, c'est-à-dire un nationalisme économique. Les échanges avec l'étranger seront poursuivis dans la mesure où ils apportent un surcroît d'emplois ou de richesses à l'économie nationale. Donc un protectionnisme sélectif est tout à fait intégré dans cette vision. Il faut savoir que les auteurs mercantilistes qui eux aussi préconisaient ce genre de politique se sont peu à peu rendu compte de la solidarité qui existe entre échanges internationaux, et que ces politiques nationalistes étaient sources de nombreux conflits, à terme nuisibles pour toutes les parties.
Sur le plan intérieur, toute la politique de Le Pen est centrée autour de l'idée de préférence nationale. C'est-à-dire qu'en toutes circonstances le français national devra être préféré à l'étranger : emploi, aide sociale, logement, allocations familiales, retraites… À part cela, nombre de ses idées sont en fait empruntées aux écoles conservatrices anglo-saxonnes, que ce soit le chèque éducation, la tolérance zéro, l'inscription dans la constitution d'un taux d'imposition maximale, la " supply-side economics " de Laffer… On pourrait donc davantage parler de " national-libéralisme " que de " national-socialisme ".
On peut penser que si un jour le Front National s'assagissait, il pourrait ressembler à un courant " républicain ", mais au sens américain et non français du terme, ce qui est assez piquant pour un courant qui prétend incarner l'âme de la France face au déferlement de la mondialisation. Il est clair en tous cas que le programme du Front National n'est en rien social et que l'abolition de l'impôt sur le revenu et l'abolition des droits de succession en ligne directe mèneront à la reconstitution des grandes fortunes, tandis que le marché du travail sera flexibilisé. Égoïsme national et restauration des inégalités : c'est bel et bien un retour au dix-neuvième siècle dont rêve Jean-Marie Le Pen.
Jean-Luc de Meulemeester
Chargé de cours en histoire de la pensée économique
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Le résultat du premier tour des élections françaises a remis sur le devant de la scène le parti de Jean-Marie Le Pen, qu'on croyait définitivement affaibli depuis sa scission en 1998. En analysant le programme du FN, on peut aider à répondre à une question-clé : pourquoi un parti d'extrême droite - donc a priori, à droite de la droite classique - arrive-t-il à séduire ceux qu'on qualifie de " perdants " de la nouvelle donne économique (ouvriers, chômeurs, employés, et même cadres moyens…) ?
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