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Vote des étrangers : le miroir aux alouettes ?

Lors des élections communales de 2000, les ressortissants de l'Union européenne ont pu voter, suite à la transposition en droit belge d'une directive européenne adoptée dans la foulée du Traité de Maastricht. Cette transposition a fait l'objet de nombreux débats parlementaires, la plupart des partis flamands ayant cherché à retarder au maximum sa mise en oeuvre en raison de l'impact qu'elle pouvait avoir dans les communes périphériques bruxelloises. Le retard pris a même entraîné la condamnation de l'État belge par la Cour européenne de justice. Pour réduire l'impact électoral supposé, la loi prévoit que les ressortissants européens, à l'inverse des citoyens belges, doivent s'inscrire sur les listes électorales de leur commune.

Finalement, les effets électoraux de ce nouveau droit ont été minimes. En effet, sur les 495.354 électeurs potentiels, 87.858 personnes se sont inscrites, soit 17%. Toutefois, cette moyenne masque de nombreuses disparités. La participation a été plus forte dans les zones où les étrangers sont surtout des immigrés résidant depuis longtemps en Belgique (provinces de Namur, Hainaut et Liège). Le meilleur taux d'inscription fut La Louvière. Par contre, la grande crainte exprimée à de nombreuses reprises par les partis flamands de voir, à l'occasion de ces élections, une francisation accrue de Bruxelles et de sa périphérie ne s'est pas confirmée. C'est à Bruxelles que les inscriptions ont été les plus faibles (9,6%). Ce qui tendrait à faire penser que les immigrés sont plus intégrés que les ressortissants européens hautement qualifiés travaillant à Bruxelles. L'obligation de l'inscription préalable choisie par le gouvernement semble constituer un frein à l'application de ce droit. Il convient de voir si lors des élections de 2006, la participation des ressortissants de l'Union européenne sera plus élevée.

Autre enjeu : la participation des étrangers non-européens

Après de très longs débats parlementaires, la loi attribuant le droit de vote aux étrangers non-européens est votée le 19 février 2004. Les partis flamands, à l'exception du SP.A se sont opposés au vote de cette loi. Le VLD a même menacé d'en faire une question remettant en cause sa participation au gouvernement. La loi votée présente de nombreux facteurs cherchant à réduire sa portée et à limiter l'inscription des électeurs. Le droit octroyé ne concerne que le vote et non l'éligibilité. Ensuite, et ce à la différence des électeurs européens, les non-européens doivent déclarer s'engager à respecter la Constitution, les lois du peuple belge et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette déclaration est perçue par certains députés comme inutilement vexatoire, mais fruit d'un compromis, la proposition déposée par le MR sera votée. Selon une note annexée aux documents parlementaires, 125.000 personnes dont 49.000 résidant en Flandre devraient pouvoir bénéficier du droit de vote. Parmi cette population, près de 48% sont des Marocains et des Turcs, cependant on trouve aussi des Congolais, des Américains, etc. Les Flamands ont interprété le vote de cette loi comme un diktat francophone, une loi votée contre la volonté politique de la majorité des Flamands. Outre la crainte de voir le Vlaams Belang exploiter en Flandre cette concession faite aux Francophones, les Flamands redoutent une fois encore que ce nouveau droit ne contribue à accroître la représentation francophone à Bruxelles.

L'opposition du VLD à cette nouvelle loi se vérifie aussi par le refus du ministre de l'Intérieur, Patrick Dewael, d'effectuer des campagnes d'information et d'incitation à l'inscription des étrangers dans les communes. Dès lors, ce sont les organisations et institutions travaillant dans le domaine de l'immigration et des droits de l'homme, qui ont pris en charge la diffusion de cette information. Certaines communes ont aussi pris des initiatives en ce sens. Les taux d'inscription vont fort probablement dépendre du volontarisme local. Finalement, la portée de la loi risque surtout d'avoir des effets symboliques. La sous-information est payante. Les données communiquées par le ministère de l'Intérieur au 15 juillet 2006 montrent un taux d'inscription excessivement faible : 7,9% en Wallonie, 5,5% en Flandre et 5,1% à Bruxelles. Et s'il est faible pour les étrangers européens, il l'est plus encore pour les non-européens. Les associations rapportent souvent que des étrangers refusent de s'inscrire parce qu'ils n'ont droit qu'à un demi-droit ; d'autres expriment explicitement leur refus de participation politique. Ce dernier comportement est, en partie, celui attendu par les opposants à l'extension de ce droit aux non européens. D'autres, surtout en Flandre, pourront toujours mobiliser cet argument pour expliquer une éventuelle progression du Vlaams Belang dans des villes comme Anvers, Malines ou Gand. De manière plus générale, les communes où ces enjeux sont les plus importants sont aussi celles où l'extrême droite, flamande et francophone, risque d'augmenter.

Andrea Rea
Directeur du Groupe d'études sur l'Ethnicité, le racisme, les migrations et l'exclusion (GERME)

Le vote des ressortissants européens - et non-européens, dès à présent - aux élections communales modifiera-t-il les résultats des urnes au Nord comme au Sud du pays ? Au vu de ce qui s'est passé aux dernières élections, on peut en douter... D'autant plus que l'information des potentiels électeurs (qui doivent s'inscrire pour pouvoir voter) n'aura pas été une priorité des pouvoirs publics. Par contre, le vote des étrangers aura fait débat et révélé un certain nombre de réalités belgo-belges...



 
  ESPRIT LIBRE > SEPTEMBRE 2006 [ n°42 ]
Université libre de Bruxelles