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La recherche des lois de la conscience : une quête du Graal ?

L'approche scientifique de la conscience est difficile dans la mesure où il s'agit de trouver les relations entre un phénomène objectivable (un système nerveux en activité) et un phénomène subjectif (l'expérience intérieure d'un être humain ou d'un animal) qui échappe à toute observation extérieure directe. Pour décrire les lois qui régissent la relation système nerveux - conscience intérieure, il nous semble judicieux de s'appuyer sur une approche évolutionniste analysant l'apparition puis la complexification progressive des propriétés mentales dans la chaîne des êtres vivants. Dans cette optique, il s'agirait notamment de déterminer quel est le stade où, dans la chaîne des êtres, la complexification progressive de l'organisation du système nerveux aboutit à l'apparition d'un " point de vue intérieur ", d'une " conscience élémentaire ".

Face au problème de la relation esprit - cerveau, deux attitudes métaphysiques peuvent être distinguées : l'une qui tend à rapprocher l'esprit de la matière en le considérant comme une fonction du cerveau (c'est le matérialisme), l'autre qui tend à en faire un " principe spirituel " indépendant (c'est le spiritualisme). Descartes fut sans doute le représentant le plus illustre du dualisme spiritualiste. Aujourd'hui l'immense majorité des philosophes, médecins et chercheurs gravitant dans le domaine des sciences cognitives sont matérialistes et considèrent que la conscience est une propriété du cerveau.

La conscience est un phénomène subjectif difficile à analyser d'un point de vue extérieur. Nous avons toutes les raisons de penser que les personnes que nous croisons dans la rue sont des êtres conscients. Nombre d'entre nous seront d'accord pour attribuer une conscience au singe ou au chat. Mais que répondre, lorsqu'on nous demande si un poulpe possède une expérience intérieure ? Lorsqu'on aborde la question de la conscience, il est donc indispensable de préciser la définition que l'on donne à ce terme. En nous référant aux écrits de Thomas Nagel, nous proposons une définition minimaliste : " La conscience est l'effet que cela fait à un être vivant d'être cet être vivant ". Si la conscience est une propriété du cerveau, l'émergence de la conscience est liée à la présence d'un système nerveux central d'une complexité suffisante. Nous avons toutes les raisons de penser que les organismes vivants ne possédant pas de systèmes nerveux sont des êtres inconscients : un virus, une bactérie ou même un embryon aux premiers stades de développement ne sont pas conscients.

Bien du temps sera encore nécessaire avant que l'on puisse savoir comment se fait le passage des états neuronaux à la pensée. Il nous manque actuellement une hypothèse valable pour expliquer cette forme de sensation interne particulière qui pourrait être créée par un certain état d'un réseau nerveux. Nous pensons, avec Comte, que le savoir est foncièrement constatatif. La science positiviste prétend moins expliquer les phénomènes naturels que les décrire. Dans ce cadre-là, ce que l'on peut étudier, ce sont les corrélats nerveux de l'activité mentale, les conditions biologiques permettant à un réseau nerveux d'un certain degré d'organisation d'engendrer un état mental plus ou moins sophistiqué. Ce que l'on doit tenter de décrire, ce sont les lois reliant un phénomène nerveux à un phénomène mental. Pour ce qui concerne la relation esprit-cerveau, le rôle des neuroscientifiques, dans une perspective positiviste, serait de décrire les lois de la conscience. Même si l'on se contente de cette approche relativement peu ambitieuse (décrire et non pas expliquer), la question reste difficile et s'apparente à une véritable quête du Graal.

Dans la recherche de ces " lois de la conscience ", les chercheurs seront contraints de travailler par analogie en cherchant des indices comportementaux ou physiologiques permettant de déterminer l'existence et les caractéristiques de la conscience chez un être vivant donné. Ce programme de recherche qui vise à décrire les corrélats neuraux des divers types de conscience ne pourra sans doute jamais être complètement réalisé. Il peut néanmoins servir d'idéal régulateur.

Jean-Noël Missa

En 1809, Lamarck avait déjà souligné la difficulté d'étudier les facultés mentales d'un point de vue objectif. Aujourd'hui, la question de la conscience laisse perplexes la plupart des scientifiques et des philosophes.



 
  ESPRIT LIBRE > OCTOBRE 2002 [ n°7 ]
Université libre de Bruxelles