Luc (et Jean-Pierre) Dardenne
Un double palmé à l'ULB
Esprit Libre : Luc Dardenne, en plus du cinéma, vous êtes féru de philosophie...
Luc Dardenne : Dans un premier temps, en 1974, j'ai suivi un cours de philosophie morale à Liège. Fort déçu par la teneur de cet enseignement,
j'ai abandonné assez rapidement pour travailler avec un metteur en scène de théâtre, près de Leuven. Sur les conseils d'un
ami, je me suis ensuite plongé dans certains écrits de Platon et Marx, et cela m'a incité à me réinscrire à la KUL. J'y ai
notamment suivi la philosophie des sciences, la philosophie du langage et la phénoménologie. Lors de certains séminaires,
j'avais côtoyé Lambros Couloubaritsis et Robert Legros que j'ai ensuite retrouvés à l'ULB. Parallèlement à ces études, j'avais
acheté du matériel vidéo avec mon frère, et nous réalisions déjà des portraits et des documentaires.
Esprit Libre : Vous êtes aujourd'hui titulaire à l'ULB d'un cours d'études de questions d'écriture et de scénario pour la filière Cinéma
du Département de l'information et de la communication...
Luc Dardenne : Effectivement. J'essaye d'enseigner une technique d'écriture, sans " bureaucratiser " l'imagination des étudiants. J'explique
les possibilités mises en avant par les théoriciens et praticiens du scénario, en partant d'Aristote, le précurseur. Mais,
au-delà de mon expérience, il reste un paramètre que je ne peux transmettre : l'inspiration. Certains étudiants ont un parcours
théorique, d'autres sont davantage passionnés par l'écriture, et quelques-uns font preuve d'un certain talent. Ce cours pose
d'ailleurs la question des écoles d'art : ont-elles un sens ?
Esprit Libre : Les salles obscures : une passion ?
Luc Dardenne : Avec mes étudiants, je visionne des longs métrages comme Taxi Driver, Un condamné à mort s'est échappé, Les amants crucifiés...pour
corriger leurs exercices. Et si je me rends souvent au cinéma, pour voir tout type de film, cela me permet avant tout d'en
parler lors de mes cours, comme récemment avec Ray afin d'expliquer le principe du flash-back.
Esprit Libre : Votre " patte " de réalisateurs s'identifie aisément...
Luc Dardenne : Le style d'un auteur ne doit pas devenir un système. Et pour ne pas " s'enfermer " dans une image, il faut rester ouvert.
J'espère que nous le sommes. D'autre part, la critique joue son rôle de prévention si les cinéastes se répètent. En ce sens,
elle est salutaire... si elle est faite intelligemment.
Esprit Libre : Vous avez récemment publié un livre : " Au dos de nos images "...
Luc Dardenne : Ce sont des notes de travail, étalées sur 15 ans, et agrémentées de deux scénarios. La littérature est une autre de mes passions,
qui m'est du reste venue bien avant le cinéma. Mais si je lis beaucoup, je rédige par contre peu. " Au dos de nos images "
constitue d'ailleurs ma première publication.
Esprit Libre : À ce propos, comment travaillent les Dardenne ?
Luc Dardenne : De manière interchangeable. Nous sommes tous deux capables de nous occuper des différentes tâches inhérentes à un plateau
de tournage. Cela dépend en fait de l'envie du moment. Quand nous tournons, l'un est à la caméra et s'occupe de la mise en
scène et des acteurs pendant que l'autre supervise au moniteur. En phase de préparation d'un film, nous travaillons par contre
ensemble, avec les acteurs.
Esprit Libre : Citoyens d'honneur de Seraing, vous êtes très liés à la région liégeoise...
Jean-Pierre Dardenne : Ces endroits ont bercé notre enfance et notre adolescence. Nous y sommes retournés pour nos films mais ce n'était pas délibéré.
Peut-être que ce que nous y avons vécu et les sentiments affectifs éprouvés pour cette région qui nous a vu grandir et que
nous avons vu se transformer nous donne l'impression de travailler à la maison.
Luc Dardenne : Nous avons eu la chance de toujours tourner là où nous le voulions. Cela accentue peut-être également ce sentiment de liberté
face à la production.
Esprit Libre : Militez-vous à travers votre cinéma ?
Luc Dardenne : Nos films ne se basent pas sur un thème particulier mais mettent en scène des tranches de vie de personnages, souvent marginaux,
à travers leur quotidien. Bien sûr, certaines situations ont un rapport avec la politique. Mais loin de nous le désir d'utiliser
nos réalisations pour véhiculer l'un ou l'autre message militant.
Esprit Libre : Quels retours percevez-vous du public ?
Jean-Pierre Dardenne : Lors des projections, je trouve particulièrement intéressant que des personnes émettent des réflexions sur le film, sans nous
poser de questions, et en alimentant leurs réflexions par des expériences vécues. C'est toujours plus enrichissant que les
questions traditionnelles.
Laurent Cortvrindt
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Avec quatre longs métrages à leur actif, deux Palmes d'or du meilleur film pour " Rosetta " et " L'enfant ", un prix d'interprétation
féminine pour Émilie Dequenne dans " Rosetta ", et un prix d'interprétation masculine pour Olivier Gourmet dans " Le fils
"... il n'est plus nécessaire de présenter les réalisateurs belges Luc et Jean-Pierre Dardenne. Derrière ce binôme cinéaste
se cachent deux personnages attachants, liégeois jusqu'au bout des ongles, dont le cadet, Luc, est titulaire d'un cours de
scénario dans notre Université. Double rencontre.
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