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Constitution européenne : quel avenir pour l'Union après les non français et néerlandais ?

Dès lors qu'une ratification unanime par les membres actuels de l'Union était nécessaire pour que le traité établissant une Constitution pour l'Europe puisse entrer en vigueur, des doutes sont vite apparus, en raison des difficultés qui se profilaient dans certains des États qui avaient annoncé qu'ils organiseraient un referendum. Le constituant avait lui-même envisagé cette éventualité, dans une déclaration : le Conseil européen " se saisirait de la question " si, dans un délai de deux ans à compter de la signature du traité, les quatre-cinquièmes des États l'ont ratifié mais qu'un ou plusieurs États " ont rencontré des difficultés " pour procéder à cette ratification. Mais, à l'époque, on évoquait surtout un rejet possible du texte par les populations d'États traditionnellement " eurosceptiques " ; rejet qui aurait dû conduire à se mettre d'accord sur de nouvelles modalités de cohabitation entre une majorité de pays soucieux de voir progresser l'intégration et une minorité refusant ces progrès.

Séisme

On comprend dans ce contexte le " séisme " provoqué par le non en France et aux Pays-Bas : d'une part, ce non émanait, contre toute attente, de deux des États fondateurs de la Communauté européenne, dont la population était réputée favorable à l'intégration européenne ; d'autre part, il présentait des visages multiples et contradictoires allant des adversaires traditionnels de gauche ou de droite de la construction européenne à ceux qui rêvent d'une autre Europe, plus sociale. Il n'est donc pas étonnant que les chefs d'État et de gouvernement n'aient pu faire mieux que de s'accorder sur la nécessité d'aménager une période de réflexion et d'adapter en conséquence le calendrier de la ratification dans les États membres. Oubliant la date butoir du 1er novembre 2006, ils se sont fixé rendez-vous au printemps 2006 pour évaluer la situation et convenir de la suite du processus.

Où en est-on aujourd'hui ? À la veille des referendums en France et aux Pays-Bas, neuf pays avaient déjà ratifié le texte(1). Au lendemain de ceux-ci, seul le gouvernement luxembourgeois a maintenu et gagné son referendum le 10 juillet ; dans tous les autres pays (2) le referendum prévu a été reporté sine die. En revanche, la ratification par voie parlementaire continue son cours sans encombre : Chypre, la Lettonie et Malte ont dit oui en juin ; la Belgique et l'Estonie devraient les rejoindre à l'automne. Seule, la Finlande a reporté le processus de ratification parlementaire.

Plus de la moitié des États ont donc actuellement approuvé la Constitution, mais il s'agit principalement de pays qui avaient choisi la voie de la ratification parlementaire. La marge de manoeuvre des gouvernements des pays où un referendum était prévu est étroite : remplacer les referendums par une approbation parlementaire semble inimaginable ; renoncer définitivement au referendum est porter la responsabilité d'enterrer la Constitution, mais maintenir celui-ci revient à prendre le risque que le non l'emporte encore... La rupture deviendrait totale entre les élites qui ont massivement approuvé la Constitution et le " peuple " qui l'aurait rejeté tout aussi massivement.

Les chances de sauver la Constitution paraissent donc très minces. L'hypothèse la plus vraisemblable pourrait être que, pour éviter un échec total, les chefs d'État et de gouvernement décident d'un " dépeçage " du texte, à savoir une mise en application limitée à certaines réformes ponctuelles, comme la création des postes de ministre des affaires étrangères et de président du Conseil européen, voire le nouveau calcul de la majorité qualifiée au Conseil. Cette solution laisserait de côté certaines avancées essentielles de la Constitution : la reconnaissance d'une personnalité juridique unique à l'Union, la clarification des compétences, la simplification et la rationalisation des instruments juridiques de l'Union, la constitutionnalisation des droits fondamentaux ou encore la consolidation de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Paradoxe

L'échec de la Constitution condamnera l'Europe à continuer à vivre, en tout cas à moyen terme, sous l'empire des traités actuels. Or, si le citoyen a rejeté l'Europe telle qu'elle était proposée par la Constitution, c'est en grande partie parce que l'Europe, sous son visage actuel, fonctionne mal et ne séduit plus. Le paradoxe est que ce rejet a pour effet de pérenniser l'Europe actuelle : ainsi le citoyen gardera l'Europe qu'il n'aime pas. Pire, l'Union européenne risque de fonctionner encore plus mal qu'avant : la crise semble avoir renforcé les tensions entre États et les replis sur soi, ce qui rendra les compromis comme les avancées encore plus difficiles.

Nous ne croyons guère aux chances d'un noyau dur ou d'une avant-garde qui relancerait la mécanique d'intégration, car nous voyons mal dans quels domaines et avec qui, surtout après les non français et néerlandais, un tel scénario se mettrait en place. Ne reste qu'à espérer que cette crise ouvrira un temps de digestion permettant à terme de reprendre sereinement une renégociation globale, si les États membres ont la volonté politique de cet ultime sursaut.

Marianne Dony
Directeur des recherches juridiques à l'Institut d'études européennes, ULB

Si les non français et néerlandais à la Constitution européenne ouvrent une crise sans précédent dans l'Union européenne, un ultime sursaut reste possible, après le temps de la digestion, pour autant qu'on en ait la volonté politique.



(1) Allemagne, Autriche, Grèce, Hongrie, Italie, Lituanie, Slovénie, Slovaquie par voie parlementaire et Espagne par referendum
(2) Irlande, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni et Suède

 
  ESPRIT LIBRE > OCTOBRE 2005 [ n°34 ]
Université libre de Bruxelles