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Méconnaissance, tabou, exclusion… Changer le regard sur le Sida

Esprit libre : Vous travaillez dans l'équipe du professeur Jack Levy (chef du Service de pédiatrie au CHU St Pierre) qui suit la proportion la plus importante d'enfants séropositifs dans notre pays. Quelle est la situation du Sida aujourd'hui en Belgique ?
Brigitte Vanthournout : En 2005, 20.000 personnes étaient diagnostiquées séropositives en Belgique depuis le début de l'épidémie. C'est l'année qui présente également le plus grand nombre de nouveaux cas depuis 20 ans.

Esprit libre : Comment expliquez-vous cette recrudescence ?
Brigitte Vanthournout : Depuis 1996, de nouveaux traitements sont disponibles dans nos pays développés. Il reste bien entendu un fossé énorme à cet égard entre les pays du Nord et du Sud. Grâce à ces nouveaux médicaments qui permettent des associations très efficaces, la maladie peut être maîtrisée (trithérapies). Il y a moins de décès, même si l'on ne guérit jamais. Ceci change fondamentalement la donne ; la personne séropositive peut s'inscrire dans un processus de vie et non plus de survie comme il y a 10 ans. Or, la banalisation de la maladie, le fait que l'on ne soit plus en danger de mort, amène les jeunes à se dire qu'attraper le SIDA, ce n'est pas trop grave. Et ils négligent de se protéger efficacement. Je pense aussi que les campagnes de prévention ne sont pas toujours pertinentes, elles choquent plus qu'elles n'informent. Par ailleurs le message doit être répété afin d'éviter un relâchement de la vigilance surtout chez les jeunes.

Esprit libre : Or la maladie reste redoutable...
Brigitte Vanthournout : Oui, la maladie reste redoutable, même en Belgique. Il ne faut pas sous-estimer la difficulté à devoir prendre un traitement tous les jours. De plus sur le plan psychique, il est très difficile pour les patients de vivre dans l'angoisse de la mort… C'est là que s'inscrit la nouvelle grande différence dans le traitement de la maladie. Auparavant, on accompagnait un patient en fin de vie ; aujourd'hui, la prise en charge est globale et prend en compte les aspects sociaux, psychologiques et familiaux avec une équipe pluridisciplinaire. Pour nous qui suivons de jeunes patients, l'objectif est que le jeune vive AVEC sa maladie et pas à côté d'elle en se mettant en danger.

Esprit libre : Vous parliez de banalisation : cela veut dire que l'entourage scolaire et familial accepte plus facilement une personne malade ?
Brigitte Vanthournout : Cette banalisation est pour moi une forme de déni car on méconnaît toujours la maladie. Tout un tas d'idées fausses circulent encore à son propos. Quand on interroge des jeunes entre 13 et 17 ans, ils pensent qu'il suffit de prendre des médicaments si l'on est malade mais que l'espérance de vie des patients séropositifs tourne autour de 30 ans ! Ils croient aussi que des personnes séropositives ne pourront pas avoir d'enfants. Or aujourd'hui, les jeunes infectés par le VIH peuvent devenir parents avec un risque très réduit de transmission du virus à l'enfant (- de 1% moyennant suivi médical spécialisé). Malheureusement ces idées circulent aussi au sein du monde adulte et de façon plus délicate parmi certains professionnels de l'enseignement. Elles sont parfois responsables de discrimination à l'égard d'enfants séropositifs lors d'une inscription scolaire par exemple.

Esprit libre : Donc la banalisation de la maladie ne s'est pas accompagnée d'une plus grande ouverture vers les personnes séropositives ?
Brigitte Vanthournout : Non, tous ces jugements à l'emporte-pièce font que la maladie reste taboue. L'exclusion n'est pas fantasmatique, elle est réelle. Il faut savoir qu'en Afrique, des femmes et des enfants se font tuer parce qu'ils sont séropositifs. Chez nous, ces populations restent fragilisées car la maladie risque toujours d'entraîner une " mort sociale ". Plus les gens seront informés, moins la maladie sera taboue. Et avec la diminution de l'exclusion, je suis persuadée qu'on aura des risques moindres de contamination.

Esprit libre : Comment se comportent les séropositifs informés de leur état ?
Brigitte Vanthournout : Révéler la maladie aux partenaires n'est pas simple. Cela pose question pour l'avenir du couple. J'ai rencontré plusieurs patients torturés à l'idée de contaminer un conjoint aimé. Mais je le répète, la société est responsable de cette situation. Le SIDA est l'affaire de tout le monde. Nous sommes tous susceptibles de vivre à côté d'une personne séropositive et de l'ignorer (ça ne se voit pas !). Il est fondamental de lui faire une place en faisant fi de toute peur absurde. Quant aux personnes qui ont des rapports non protégés ou des pratiques d'échange de seringue, elles doivent avoir le réflexe de se faire dépister pour être informées sur leur état. Ce n'est que par ces attitudes matures et réfléchies que nous arriverons réellement à changer le cours des choses.

Isabelle Pollet


Du 22 au 26 octobre (1), l'ULB organise une semaine de sensibilisation au SIDA. Beaucoup d'idées fausses continuent en effet à circuler sur cette terrible maladie. Continuer à informer, à la fois pour assurer une bonne prévention mais aussi pour changer le regard de la société sur la séropositivité, reste d'une importance fondamentale. Brigitte Vanthournout, pédopsychiatre, nous livre son témoignage et un message éthique.



(1) En savoir plus
Programme de cette semaine sur le site de l'ULB : voir en pages " brèves " d'Esprit libre (pp4-5) ou sur www.ulb.ac.be

 
  ESPRIT LIBRE > OCTOBRE 2007 [ n°52 ]
Université libre de Bruxelles