Krach test pour l'économie européenne
Esprit Libre : Pas mal de voix s'élèvent régulièrement contre l'élargissement de l'Union
André Sapir : Je vais vous dire comment je vois les choses : l'élargissement est inévitable. Au nom de quoi un groupe de pays riches pourrait
refuser l'entrée dans l'Union européenne à des pays qui sont européens, dans tous les sens du terme, et qui ont le désir de
se joindre à nous ? Ce serait contraire à l'idée même de construction européenne. L'alternative, c'est quoi ? Qu'on les parque
là-bas à l'Est de chez nous, et puis qu'on appelle les américains pour les bombarder quand ils ne se tiennent pas calmes ?
Le modèle de réconciliation qui a réussi pour nous est quand même bien plus attrayant. Il vaut beaucoup mieux régler les problèmes
au sein de l'Union. Cela dit, il ne faut pas être naïf : l'élargissement est un vrai défi.
Esprit Libre : Votre groupe est chargé de s'occuper de ce défi au plan économique. Quels sont les objectifs que Romano Prodi vous a fixés
?
André Sapir : Nous avons trois objectifs : améliorer la croissance, maintenir la stabilité monétaire et renforcer la cohésion. C'est pour
cela que notre rapport va s'appeler " Croissance, stabilité et cohésion ".
Esprit Libre : Reprenons ces objectifs un par un. D'abord, la croissance
On ne peut pas dire qu'en moyenne elle ait vraiment augmenté de
manière durable ces vingt dernières années. Ne craignez-vous pas que les nouveaux arrivants nous tirent vers le bas ?
André Sapir : Lorsque l'Irlande, la Grèce, l'Espagne ou le Portugal ont intégré la Communauté, ils n'ont pas du tout tiré les autres vers
le bas. Aujourd'hui, le scénario idéal serait que les pays de l'Est connaissent une croissance du genre de celle que l'Irlande
a connue au cours des dernières années, une croissance rapide des pays qui mettent en place des investissements et rentrent
dans ce que l'on appelle un " cercle vertueux ". L'idée que les pays de l'Est aient une croissance de 5 % ne me paraît pas
absurde (nous l'avons fait pendant les " Trente glorieuses "). Mais cela ne va pas venir tout seul ! J'ajoute que cette croissance
chez eux serait aussi bénéfique pour nous. Dans ce cas, au lieu de nous tirer vers le bas, ils nous tireraient vers le haut.
Esprit Libre : Deuxième objectif : maintenir la stabilité monétaire. Ne risquons-nous pas de revenir à l'instabilité que nous avons connue
jusqu'au début des années 90, notamment avec le choc de la réunification allemande ?
André Sapir : Rappelons d'abord que cette instabilité a disparu au sein des 12 pays qui forment aujourd'hui la zone euro, puisque nous avons
une seule politique monétaire. Trois pays ne font pas partie de cette zone (Grande-Bretagne, Danemark, Suède) mais ont une
politique monétaire très stable par rapport à l'euro. Voilà pour la situation actuelle
Nous allons ajouter dix pays à l'Union
européenne. Ils ne vont sans doute pas devenir immédiatement membres de la zone euro. Il est clair que plus la zone est hétérogène,
plus la conduite d'une politique monétaire unique est difficile. Comment faire ? C'est la deuxième question à laquelle notre
groupe doit répondre.
Esprit Libre : Troisième objectif, et non des moindres, la cohésion
André Sapir : C'est ce que les économistes appellent la " convergence ". Nous avons des pays à niveaux de revenus très élevés et d'autres
plus faibles (Portugal, Grèce
). Et puis vont venir des pays à niveau encore plus faible : la Pologne, la Tchéquie, etc. On
a toujours eu au niveau communautaire cet objectif de solidarité entre pays riches et moins riches. Mais là on parle de pays
dont le revenu moyen est de l'ordre de 40 % du nôtre. C'est un fameux défi.
Esprit Libre : Et pourtant vous avez l'air optimiste
André Sapir : C'est dans ma nature peut-être
Comme économiste travaillant dans le domaine des politiques publiques, on a toujours l'espoir
d'être capable de contribuer à la mise en place de politiques économiques qui parviennent à rencontrer ces défis. Je ne les
regarde pas comme insurmontables mais comme nécessitant de l'action. Les choses ne vont pas se résoudre d'elles-mêmes.
Nicolas Van den Bossche
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L'élargissement de l'Union européenne nous mène-t-il droit dans le mur ? Ce n'est pas l'avis d'André Sapir. Il est professeur
d'économie internationale à l'ULB et conseiller à la Commission européenne. Cette dernière l'a chargé de présider un groupe
d'étude de haut niveau. Mission : dresser un bilan de la situation économique actuelle puis proposer des solutions. Et tout
cela pour le printemps 2003 au plus tard
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