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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
Attention, on nous informe !

Emotion, réactions, narration, tout était là, bien présent dans l'article de La Presse du 10 mai 1927. Un vrai papier d'ambiance in situ. Il est vrai que la nouvelle méritait la Une : Nungesser et Coli venaient de réussir la traversée de l'Atlantique en avion. Seul " détail " omis par le journaliste trop pressé d'annoncer la nouvelle : Nungesser et Coli n'arriveront jamais sur la terre ferme…

" Dans l'entre-deux-guerres, la concurrence est importante entre presse écrite et radio et entre quotidiens : chacun s'efforce d'être le premier à donner l'information ", explique Gabriel Thoveron, sociologue des médias, professeur émérite de l'ULB. Etre le premier et donc parfois, diffuser une information erronée - la présence du Roi Albert à un match de football où il n'arrivera jamais ou la mort de Poincarré alors qu'il était encore bien vivant -, voire de décrire avec une multitude de détails, un événement qui n'aura jamais lieu - l'arrivée de Nungesser et Coli -.

En période de guerre, évidemment, toute information devient stratégique. Le bourrage de crâne est souvent pratiqué pour maintenir le moral des civils. L'ennemi doit toujours être décrit comme bête, lâche et cruel : on se souviendra des soldats irakiens qui avaient, soi-disant, sorti les bébés des couveuses à Koweit City ou encore du pseudo charnier de Timisoara... Les défaites du camps adverse, la mort des dirigeants ennemis sont annoncées plus souvent qu'elles ne se produisent, tellement chacun est enthousiaste à l'idée que cela puisse être vrai.

Spectacle

Et aujourd'hui, chez nous où on parle à l'envi de " téléréalité " ? " Ce n'est plus tant la course à la vitesse qui entraîne des dérapages mais plutôt l'attrait du spectaculaire : je fais un reportage sur la croissance de la délinquance en banlieue et je cherche en vain avec mon équipe, des images sensationnelles mais rien ne se passe… Je décide alors de payer quelques gamins pour qu'ils saccagent une voiture : je crée un événement ! Lorsque Patrick Poivre d'Arvor monte un discours de Fidel Castro en pseudo interview en direct, il ne change pas les propos de Castro mais il le présente comme une exclusivité, s'illustrant comme meilleur journaliste que ses confrères ", déplore le sociologue des médias.

Les journalistes sont pourtant les premiers à dénoncer ces dérapages qui, insistons, sont exceptionnels. La presse - surtout latine - est sans aucun doute, consciente de ses devoirs. Une déontologie de la profession existe. Plusieurs émissions ont vu le jour sur les chaînes publiques belge et française pour montrer, démonter et expliquer les éventuels raccourcis, erreurs ou trucages médiatiques. L'éducation aux médias reste en effet la meilleure réponse à cette dérive. Du moins, si chacun fait preuve d'esprit critique parce que, comme le constate Gabriel Thoveron, " L'opinion publique dit volontiers que tous les journalistes sont des menteurs mais elle continue à s'alimenter de ces informations parfois mensongères ou déformées parce qu'elle aime cela ! La réalité, c'est ce que les gens croient ! ".

Le débat sera ouvert le 14 novembre sur le campus de Parentville, lors du colloque et du débat de l'Acirp, "Méfiez-vous de la communication".

Gabriel Thoveron, le 3e âge du 4e pouvoir. Où va la presse ?, Labor, Bruxelles, 1999

Nathalie Gobbe


A l'occasion de son 15e anniversaire, l'Acirp - Association carolorégienne de l'information et des relations publiques - organise sur le campus de Parentville, le jeudi 14 novembre, un colloque (en journée) et un débat (en soirée) sur le thème " Méfiez-vous de la communication ". Rencontre avec un des orateurs du jour, Gabriel Thoveron, sociologue des médias, professeur émérite de l'ULB.



Méfiez-vous de la communication

Un colloque, en journée
9h30-12h
Atelier 1 : Histoire des mystifications médiatiques. Du pigeon de Waterloo à Timisoara, animé par Gabriel Thoveron, ULB
Atelier 2 : Le journalisme, un métier dangereux, animé par Marcel Leroy, Le Soir
14h-16h30 :
Atelier 3 : Le choix des sujets à la Une. Se taire… c'est déjà mentir, animé par Jean-Jacques Jespers, RTBF, ULB
Atelier 4 : Censure, auto-censure, fiabilité des sources, animé par Jean-François Dumont, Le Vif-L'Express, UCL
Un débat à 20 heures :
Info de crise ou crise de l'info ?, avec Anne Morelli (ULB), Guy Haarscher (ULB)…
A l'ULB - Campus de Parentville
Informations & inscriptions :
www.acirp.be ou 071 53 12 23

 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2002 [ n°8 ]
Université libre de Bruxelles