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[à l'université]
 
 
 
Un événement à l'ULB : naissance de La Jeune Belgique

C'est le premier décembre 1881 que paraît, sur seize pages, la première livraison de La Jeune Belgique. Y collaborent, les poètes Georges Eekhoud, Georges Rodenbach et Max Waller, ainsi que les jeunes chroniqueurs Francis Melvil, Albert Orth, Francis Marcel et Charles Mettange, ces deux derniers étant membres du comité de rédaction de la revue, avec le directeur Albert Grésil. Sous le pseudonyme délicatement poétique d'Albert Grésil se cache le nom d'un étudiant en droit de l'université, le futur notaire et futur mandataire politique Albert Bauwens (Saint-Josse-ten-Noode, 1860 - Etterbeek, 1950).

D'abord La Chrysalide

En créant La Jeune Belgique, Bauwens n'en était pas à son coup d'essai. Dès octobre 1880, un groupe d'étudiants de l'ULB avait perpétué la déjà longue chaîne des revues littéraires nées sous le drapeau de notre maison en fondant La Chrysalide, petite brochure reprographiée dont le titre avait été trouvé par Maurice Sulzberger (1863-1939), futur membre de l'Académie royale de Belgique. Comme on pouvait le craindre, la revue ne connut qu'un seul numéro. Sans désemparer, Bauwens lance un nouvel organe appelé à connaître une existence moins éphémère : La Jeune Revue littéraire.

Adoptant un rythme de parution régulier, cette fière revue allait proposer une douzaine de livraisons, de décembre 1880 au 15 novembre 1881, formant un ensemble de plus de 250 pa-ges entièrement consacrées à la littérature, à la poésie et à la critique artistique et littéraire. Aux sommaires des fascicules on relève notamment ceux des jeunes écrivains Georges Eek-houd, Max Elskamp, Albert Giraud et Max Waller, parmi bien d'autres restés moins connus. À l'exception de Georges Eekhoud, qui devait enseigner quelques années plus tard à l'Université nouvelle, tous ces nouveaux auteurs suivaient alors les cours de notre université.

820 abonnés payants !

Cependant, décidé à sortir sa publication de sa gangue estudiantine et ambitionnant d'en faire un organe de combat au service de la modernité, Albert Bauwens transforme ce que l'on ap-pelait déjà familièrement La Jeune revue en lui trouvant un nouveau nom, La Jeune Belgique (à l'image d'une remuante revue parisienne, La Jeune France). Du premier décembre 1881 au 15 novembre 1882, Bauwens allait gérer La Jeune Belgique en administrateur avisé et effi-cace. Il pouvait s'enorgueillir, après la parution des vingt-quatre premiers numéros, de propo-ser un volume de près de quatre cents pages purement et exclusivement littéraires. Il aurait pu se vanter d'avoir dirigé une revue littéraire qui, en 1882, comptait 820 abonnés payants ! Une sorte de record absolu pour l'époque. Mais l'homme était modeste et sans grande ambition littéraire ; de plus son père, le notaire Bauwens, lui rappela qu'il était temps de se consacrer davantage à ses études et il passa la main à son second, Max Waller. Un nouveau chapitre, le plus brillant sans doute de l'histoire de La Jeune Belgique, n'allait pas tarder à s'écrire. Wal-ler, plus entreprenant et plus provocateur que Bauwens, aura tôt fait - aidé en cela par le viru-lent poète Albert Giraud - de donner à sa nouvelle revue un ton plus combatif, parfois même un peu sermonneur.

La Jeune Belgique allait paraître jusqu'en décembre 1897, beau record de longévité. Trop modestes, nos cercles littéraires n'ont pas assez souligné l'importance du prestigieux événe-ment que constitua la maturation et l'éclosion de La Jeune Belgique à l'ombre des murs de notre Alma Mater, alors que l'Université libre de Bruxelles peut revendiquer une longue tra-dition en matière de créations littéraires de qualité. Depuis Charles De Coster et Félicien Rops, avec Le Crocodile (1853-1858), puis l'Uylenspiegel (1856-1863), en passant par la création de La Basoche (1884-1886) par Charles-Henry de Tombeur et celle de La Lanterne sourde (1921-1922) par Paul Vanderborght, il ne se sera pas passé une génération sans que le drapeau de notre maison ne soit revendiqué par l'une ou l'autre publication de belle réputa-tion. Nous pensons qu'il n'était pas inutile de rendre hommage à la mémoire de ces glorieux pionniers de nos lettres, et plus particulièrement au plus modeste et au plus oublié d'entre eux, le véritable inventeur de La Jeune Belgique, Albert Bauwens.

René  Fayt
Centre de gestion des bibliothèques

Les milieux intellectuels s'accordent unanimement pour considérer l'apparition de la revue littéraire La Jeune Belgique comme le signal d'un véritable réveil de nos lettres et comme un mouvement unique dans l'histoire de notre littérature. Cette revue est née à l'ULB. C'était il y a 121 ans.



 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2002 [ n°8 ]
Université libre de Bruxelles