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Nouveaux regards, nouveaux objets...

Bénéficiant des courants d'études les plus novateurs mais aussi du développement de nouvelles institutions scientifiques, comme l'Historial de la Grande guerre à Péronne, le premier conflit mondial s'est imposé sur l'agenda des historiens. Il a fait l'objet d'une multitude de colloques, de publications et de débats.

La Belgique participe pleinement à ce renouveau. Au cours des dernières années, de nombreux articles et publications ont complètement rénové notre approche du conflit, détournant quelque peu le regard des tranchées pour examiner l'impact de la guerre sur la société civile. Cette évolution est brillamment illustrée par la remarquable synthèse de Sophie de Schaepdrijver, La Belgique et la Première Guerre mondiale disponible en français depuis l'an dernier et par les travaux de Laurence van Ypersele à l'UCL.

Les chercheurs de l'ULB ont pris leur part dans cette évolution. Derrière les travaux de Jean Stengers qui font toujours autorité, une nouvelle génération d'historiens s'est passionnée pour cette période : plusieurs thèses de doctorats ont vu le jour tandis qu'un nombre croissant d'étudiants choisissent de consacrer leur mémoire de fin d'études à cette période fondamentale de l'Histoire de Belgique. L'ULB a par ailleurs accueilli en 2003 un premier colloque international réunissant une cinquantaine de chercheurs européens sur le thème Une guerre totale ? La Belgique dans la Première Guerre mondiale. Nouvelles tendances de la recherche historique, dont les actes viennent de sortir de presse.

" Culture de guerre "

Comment expliquer ce nouvel engouement ? Il est d'abord lié à l'intérêt des chercheurs pour des thématiques jusque-là ignorées ou tout au moins sous-exploitées. Loin des traditionnelles études sur les opérations militaires, les historiens ont voulu mieux saisir ce que l'on a appelé la " culture de guerre " et ses conséquences sur la société belge d'après 1918.

Une telle approche conduisait à étudier l'impact du conflit sur la société belge dans son ensemble. Mettant davantage l'accent sur le caractère " total " de la guerre, les historiens réévaluent donc la frontière entre front militaire et home front, entre le soldat et le civil, montrant que le conflit avait été vécu jusque dans les aspects les plus intimes de la vie familiale. Ils cherchent à comprendre ce que signifie concrètement l'occupation tant pour les Belges restés sur place, que pour ceux envoyés de force en Allemagne ou encore exilés dans un pays limitrophe. Ils s'intéressent à la manière dont les Allemands eux-mêmes vécurent cette occupation.
Ces nouvelles préoccupations débouchèrent sur des études plus spécifiques sur la violence de guerre sous ces multiples formes. Il est vrai qu'avec plus de 20 millions de morts, la Première Guerre mondiale fait de la violence physique une expérience commune à toute une génération d'Européens, plus particulièrement en Belgique où l'on parlera longtemps des " atrocités allemandes " (dont le caractère a lui aussi été réévalué).

Bouleversements d'après-guerre

Le véritable " choc des cultures " représenté par la guerre interpelle également les historiens car, il ne faut jamais l'oublier, le conflit est un curieux moment de rencontres et de découverte de " l'Autre ". Ce " choc des cultures " se poursuit bien après la fin des hostilités lorsque rentrent soldats, prisonniers, exilés et autres réfugiés nourris d'une expérience bien différente de celle de ceux qui ont vécu quatre ans en Belgique occupée. La rencontre entre ces deux univers est tout sauf aisée. La sortie de guerre devient en soi un objet d'études digne de considérations. Comment une société totalement bouleversée parvient-elle à se reconstruire tout en gérant les tensions, voire la haine héritées du conflit ?

Nouveau siècle

C'est donc une société belge différente qui sort du conflit et ce n'est pas un hasard si les historiens ont tendance à considérer que la guerre marque la fin du " long XIXe siècle ". La rapidité des changements est frappante qu'il s'agisse du rôle de l'État (qui entre plus que jamais dans la sphère privée), des rapports de genre, des relations entre l'université et la société, des références des intellectuels (pour qui avant 1914 l'Allemagne constituait une sorte de modèle), etc. Le pays est brutalement entré dans un nouveau siècle et dès lors, il paraît bien difficile de comprendre et d'expliquer la Belgique d'aujourd'hui sans remonter à ce bouleversement majeur de son Histoire.

Serge Jaumain
Historiens, ULB

Valérie Piette
Historiens, ULB

Restées longtemps dans l'ombre des travaux sur 1940-45, les études de la Première Guerre mondiale ont, au cours des dernières décennies, bénéficié d'un formidable regain d'intérêt marqué par un renouvellement complet de l'historiographie, une européanisation de la recherche et l'ouverture de nombreux fonds d'archives.



 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2005 [ n°34 ]
Université libre de Bruxelles