La laïcité dans tous ses États
Esprit Libre : Le CIERL (anciennement Institut d'étude des religions et de la laïcité) fête cette année ses 40 ans d'existence. Cet anniversaire
est l'occasion de rappeler le rôle des précurseurs du Centre : Eugène Goblet d'Alviella, François Masai, Jean Préaux...
Jean-Philippe Schreiber : Fêter ce 40e anniversaire aujourd'hui, en évoquant ceux qui nous ont précédé, est une manière d'insister sur le fait que,
depuis toujours, l'Université s'intéresse à la religion et au rôle qu'elle a dans nos sociétés contemporaines - Hervé Hasquin
l'a remarquablement démontré lors de la conférence de la séance académique du 40e anniversaire, en septembre dernier. L'analyse
du phénomène religieux y a toujours été faite sous l'angle scientifique, sans apologie, sans implication, avec le recul et
l'objectivation nécessaire à l'analyse de tout phénomène appréhendé dans les sciences sociales et avec cette particularité
qu'est le libre examen comme méthode.
Esprit Libre : Le Centre est reconnu comme l'un des 10 laboratoires de référence en sciences humaines en Communauté française... Quelles
sont ses spécificités aujourd'hui ?
Jean-Philippe Schreiber : L'approche initiale qui concernait l'étude du phénomène chrétien a été élargie. Nous travaillons à la fois sur le phénomène
religieux dans sa diversité et sur la laïcité ; un choix qui a été arrêté par Hervé Hasquin et Robert Joly en 1984. C'est
une particularité quasi unique dans le monde universitaire ; l'École pratique des hautes études à Paris s'est d'ailleurs inspiré
de notre modèle. Autre spécificité : l'étude des spiritualités laïques. Je pense évidemment tout d'abord à la franc-maçonnerie,
qui a des liens particuliers avec notre Maison ; nous possédons d'ailleurs une superbe bibliothèque maçonnique, unique dans
le monde universitaire. Enfin, le Centre se veut interdisciplinaire et donc fédérateur de toutes les forces qui, au sein de
notre Maison, s'intéressent au phénomène religieux, à la laïcité, aux spiritualités. Le Centre existe depuis deux ans sous
sa nouvelle appellation ; depuis lors, les projets à caractère pluridisciplinaire se multiplient. Un peu plus de cinquante
chercheurs sont affiliés à notre Centre aujourd'hui.
Esprit Libre : En 40 ans, la réalité religieuse observée et étudiée a changé...
Jean-Philippe Schreiber : En 1965, on s'intéressait beaucoup au christianisme primitif, on travaillait sur les manuscrits de la Mer Morte, on étudiait
les antécédents païens et religieux du christianisme. On se penchait peu, par contre, sur la religion comparée et la sociologie
de la religion. Bref, le regard était essentiellement tourné vers le passé. Aujourd'hui, le regard se porte aussi vers le
présent. Et vu le contexte multiculturel dans lequel nous vivons, le Centre s'intéresse aussi bien à la contribution de l'islam
à la culture européenne, qu'à l'apport du judaïsme durant ses derniers siècles, etc. Il y a donc un élargissement des perspectives.
Par ailleurs, la société est à présent confrontée à des revendications religieuses spécifiques d'un côté, à l'émiettement
du religieux de l'autre, et au fait que le sentiment religieux et la spiritualité ont considérablement changé durant ces deux
dernières décennies. On ne peut être indifférent à ce mouvement qui se déroule sous nos yeux. Préoccupations que je résumerais
en trois points : analyse de la laïcisation de la société, analyse de la sécularisation très particulière que l'on perçoit
; avec un regain du religieux mais sous des formes très différentes de celles, institutionnalisées, que l'on connaissait jusque-là
(courant venant d'Amérique ou d'Afrique, par exemple) et enfin, pluralité du phénomène religieux en Europe. Nous portons donc
une attention accrue au christianisme, au judaïsme, à l'islam, et aux religions orientales sur lesquelles nous travaillons
de plus en plus.
Esprit Libre : Le titre du colloque organisé en décembre est " La laïcité dans tous ses États ", en référence à l'ensemble des États de
l'Union européenne...
Jean-Philippe Schreiber : Premièrement, concernant le concept de laïcité, nous sommes influencés par la culture républicaine française. Comment ce concept
s'exporte-t--il hors de France ? Deuxièmement : nous sommes 25 dans l'Union européenne, avec des particularismes relatifs
à la relation entre pouvoir civil et institutions religieuses. Comment arriver au consensus en la matière, dans une Europe
intégrée ? Troisième constat que nous analyserons durant le colloque : les phénomènes de sécularisation (avec la perte progressive
du poids de la religion dans la société) et de laïcisation (avec la perte progressive d'influence de la religion dans les
institutions) ne sont pas toujours connexes. On tentera donc de voir où les États sont fortement laïcisés mais pas nécessairement
sécularisés et vice versa. C'est une des perspectives essentielles de ce colloque.
Alain Dauchot
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Du 15 au 17 décembre, le Centre interdisciplinaire d'étude des religions et de la laïcité propose d'interpréter le concept
de laïcité et d'analyser le phénomène de sécularisation dans les différents pays de l'Union européenne. Rencontre avec Jean-Philippe
Schreiber, directeur du CIERL, pour parler de ce colloque international organisé dans le cadre des 40 ans du Centre.
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Programme du colloque : http//www.ulb.ac.be/philo/cierl
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