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Boa de la Jamaïque : back to the roots ?

Quel peut être le point commun entre une tortue des Galapagos et un boa de la Jamaïque ? Pas grand-chose en apparence. Et pourtant une menace commune plane sur eux : la disparition pure et simple. Les deux espèces sont en effet - comme des milliers d'autres dans le Monde - en voie d'extinction. Et toutes deux ont bénéficié d'un programme de reproduction en captivité.

Pour le boa - celui qui nous intéresse dans le cas présent -, le premier programme a été lancé à la fin des années 70 par le zoo de Jersey - Durrell Wildlife Conservation Trust -, en Grande-Bretagne. Depuis lors, une dizaine de serpents ont donné naissance en captivité à près de 700 descendants dans différents zoos européens. En 2001, l'EAZA - Association européenne des zoos et aquariums - lançait un nouveau programme de sauvegarde du boa de la Jamaïque. Un projet d'envergure européenne, piloté depuis le Musée d'histoire naturelle de Tournai.

À l'issue de ces quatre années, le coordinateur de projet, Christophe Rémy, par ailleurs conservateur adjoint du Musée d'histoire naturelle de Tournai, avait collecté une multitude d'informations sur le boa de la Jamaïque : l'arbre généalogique des uns et des autres, leur localisation géographique, des conseils quant aux soins à leur donner, etc. Avec le sentiment que la reproduction en captivité se passait plutôt bien mais sans véritables données validées.

Avec l'IBMM

Jusqu'au jour où Christophe Rémy a lu un article scientifique sur les tortues géantes des Galapagos (les revoilà) et leur programme de reproduction en captivité (*): le Laboratoire de génétique de l'évolution de l'IBMM (Institut de biologie et de médecine moléculaires, ULB) y démontrait que la population des tortues rapatriées présentait une variabilité génétique extrêmement réduite. Or, une faible variabilité génétique diminue la probabilité de survie à long terme et ce suite au jeu classique de l'adaptation aux conditions changeantes du milieu. Une question s'annonçait : et s'il en était de même pour le boa de la Jamaïque ? Et si les programmes de reproduction menés à travers l'Europe avaient eux aussi donné des boas à faible variabilité génétique ?

Une rencontre entre Christophe Rémy et Michel Milinkovitch, directeur du Laboratoire de génétique de l'évolution aboutira à une collaboration scientifique unique en Belgique et encore rare en Europe : depuis quelques semaines, Athanasia Tzika, une jeune doctorante grecque (bénéficiant d'une bourse Fria) récolte des échantillons - prélèvements sanguins, prélèvements d'écailles, frottis de la gorge, peaux des mues - des boas répartis dans une quinzaine de zoos européens. En outre, elle isole d'ores et déjà, à l'IBMM, des marqueurs moléculaires pour génotyper (entendez " caractériser ") la diversité génétique de la population captive des boas. Ces données permettront notamment de préciser les probabilités de survie des populations rapatriées.

Sur le terrain

Reste aussi la nécessité de caractériser la population naturelle en Jamaïque, en interaction avec les institutions d'éducation à la nature sur place. Parce que si ce serpent figure sur la liste rouge des espèces en danger, on a en revanche assez peu d'informations sur ce reptile endémique de la Jamaïque. Un serpent qui bien qu'inoffensif, éveille une peur ancestrale chez les autochtones qui le chassent, voire le massacrent. C'est dire que dénicher le serpent habitué à vivre caché pour sa survie, ne sera pas aisé. Et encore moins, on s'en doute, d'en capturer pour réaliser ces prélèvements indispensables à une analyse génétique.

Cette double caractérisation de la diversité génétique - à la fois en captivité et en milieu naturel - devrait prendre au moins deux années. Avec à la clef, des données scientifiques et des propositions pour optimiser la protection - voire la réintroduction - du boa de la Jamaïque.

Nathalie Gobbe


Première collaboration scientifique entre le Laboratoire de génétique de l'évolution de l'IBMM (ULB) et le Musée d'histoire naturelle de Tournai autour du... boa de la Jamaïque. Ou quand des généticiens contribuent à la sauvegarde d'espèces menacées...



(*) Milinkovitch et al. Proceedings Royal Society London B 271, 341-345, 2004)

Plus d'infos sur : http://www.ulb.ac.be/sciences/ueg

 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2005 [ n°34 ]
Université libre de Bruxelles