Pierre Goldschmidt
Traqueur tranquille
Esprit Libre : Vous êtes ingénieur électromécanicien (ULB), ingénieur nucléaire diplômé de l'Université californienne de Berkeley et docteur
en sciences nucléaires appliquées (ULB). Qu'est-ce qui vous a poussé vers ce type d'études ?
Pierre Goldschmidt : Je suppose que la fée " Nucléaire " a dû se pencher sur mon berceau ! En réalité, il y a eu beaucoup de coïncidences dans
ma vie... Tout d'abord, un très lointain cousin, Bertrand Goldschmidt, a participé en tant que physicien atomiste au projet
Manhattan pendant la IIe Guerre mondiale. Autre anecdote : lorsque j'étais enfant, mes grands-parents possédaient une propriété
à la campagne, près de Huy. Lorsque nous avons voulu y retourner, dans l'immédiat après-guerre, l'accès nous en a été interdit
par l'armée américaine. Pendant plus de dix ans, nous n'avons pas su pourquoi. En fait, une douzaine de scientifiques allemands
spécialistes du nucléaire avaient été réunis-là, sous bonne garde, avant d'être transférés en Angleterre, puis aux USA. Parmi
ceux-ci, Werner Heisenberg, que j'ai rencontré au début des années 60, lorsqu'il a été nommé... Docteur honoris causa de l'ULB.
Esprit Libre : Avant l'AIEA, vous avez travaillé durant 30 ans dans le domaine du nucléaire civil. Est-ce qu'un accident du type " Tchernobyl
" ne vous a pas fait revoir votre point de vue sur l'avenir de cette source d'énergie ?
Pierre Goldschmidt : Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le sujet. Depuis cet accident, les normes de sûreté internationales se sont fortement
accrues. Un accident est toujours possible, ce qui compte c'est d'en limiter les conséquences. Si elle est bien gérée, je
pense que la production d'électricité par le nucléaire est moins risquée que par les énergies fossiles. Par ailleurs, le problème
des déchets a été fortement exagéré et mal compris du grand public. Je continue donc de penser que la production d'électricité
grâce au nucléaire a de l'avenir, même si ce n'est évidemment pas la panacée... Avec une grande question néanmoins : comment
s'assurer que le nucléaire civil ne fournisse pas à certains la capacité de se doter de l'arme nucléaire ? Il y a encore beaucoup
de travail à faire pour arriver à résoudre ce dilemme.
Esprit Libre : Vous avez connu, dans le cadre de votre poste à l'AIEA, quelques crises majeures...
Pierre Goldschmidt : Un de mes premiers défis a été de devoir envoyer en ex-Yougoslavie des inspecteurs en période de guerre et sous les bombardements
de l'Otan. Il y eut le dossier irakien bien sûr... Il y eut la crise de Corée du Nord, en décembre 2002. Les inspecteurs qui
étaient là de façon permanente ont été priés de quitter le pays. La Corée du Nord a ensuite choisi de se retirer du traité
de non prolifération, créant une crise qui s'est prolongée jusqu'aujourd'hui. En février 2003, nous avons visité des installations
en Iran, en découvrant qu'un programme clandestin d'enrichissement de l'uranium existait depuis près de 20 ans. Je pourrais
citer encore d'autres exemples...
Esprit Libre : Ce travail vous a permis de voyager beaucoup ?
Pierre Goldschmidt : Probablement pas autant qu'on pourrait le croire : j'avais à gérer un département de plus de 600 personnes de 86 nationalités
différentes. Faire travailler tout ce petit monde de façon harmonieuse et efficace n'était pas évident ! Je n'ai donc pas
eu trop de temps pour les missions de terrain, malheureusement, et j'ai surtout travaillé à Vienne, qui est une ville magnifique.
Esprit Libre : N'êtes-vous pas tenté d'écrire un livre sur votre expérience ?
Pierre Goldschmidt : On m'a souvent posé la question. Pour le moment, ma réponse est non car ce serait se pencher sur le passé, or je m'intéresse
plutôt à l'avenir. J'espère d'ailleurs pouvoir continuer à apporter mon expérience dans un domaine qui me tient toujours personnellement
très à coeur.
Esprit Libre : Le 16 novembre, vous serez fait Docteur honoris causa de l'Université libre de Bruxelles, pour avoir porté les valeurs de
liberté démocratique, avec courage et imagination...
Pierre Goldschmidt : L'Université m'a conforté dans ma volonté d'objectivité, de compréhension et de tolérance. Dans ma conviction aussi qu'il
est essentiel d'exprimer ses opinions, même lorsqu'elles vont à contre-courant. Je dois avouer qu'à l'Agence, j'ai eu l'occasion
d'appliquer ce principe, tant envers des petits pays qu'envers les plus grands, ce qui n'a pas toujours plu...
Esprit Libre : Quels sont vos centres d'intérêt en dehors de l'atome et de son utilisation ? Vous semblez apprécier l'Art moderne...
Pierre Goldschmidt : Effectivement, j'aime la peinture, les antiquités, l'art précolombien, les voyages - j'ai une passion pour les cultures du
Monde - j'espère d'ailleurs pouvoir en profiter un peu plus à présent, après 6 années particulièrement fatigantes et stressantes...
Et, ce que peu de gens savent... Je m'intéresse aussi à la prestidigitation (rire) !
Alain Dauchot
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Directeur général adjoint de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de 1999 à juin 2005, Pierre Goldschmidt
était en charge du département des garanties, qui supervise le régime de non prolifération nucléaire dans le monde. Le récent
Prix Nobel attribué à l'Agence - et à son directeur, l'Égyptien Mohamed El Baradei - récompense un travail mené de longue
haleine pour limiter la prolifération des armes nucléaires. Un travail auquel Pierre Goldschmidt aura grandement contribué.
Rencontre avec un homme paisible au parcours étonnant, qui sera Docteur honoris causa de l'ULB, le 16 novembre prochain.
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