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esprit libre

[coup de projecteur]
 
 
 
Sida : 25 ans et après

Esprit libre : L'Hôpital Saint-Pierre est le premier hôpital à avoir diagnostiqué un cas de Sida sur un patient africain. Cette découverte a-t-elle fait l'effet d'une " bombe " à l'époque ?
Nathan Clumeck : Ma première publication sur un cas de Sida africain remonte à 1983 et à l'époque, elle a éveillé le scepticisme de nombreux confrères pour qui le Sida était uniquement une maladie d'homosexuels. Quelques années plus tard, on a pourtant démontré que l'épicentre du Sida était en Afrique. Ces années ont été très dures pour nous, jeunes médecins qui, impuissants, voyions des patients de notre âge mourir. Les premiers traitements sont apparus en 1996 et n'ont cessé de s'améliorer : dans quelques mois on devrait arriver à une seule pilule à prendre par jour en guise de trithérapie. Aujourd'hui, on ne meurt plus du Sida chez nous, sauf si on est diagnostiqué trop tard ou si on n'est pas traité. Il y a là aussi un risque : si la maladie est banalisée, les gens risquent de ne plus se protéger correctement...

Esprit libre : Chez nous, la maladie est soignée, contrôlée mais qu'en est-il en Afrique aujourd'hui ?
Nathan Clumeck : Théoriquement, il est plus facile de soigner le Sida aujourd'hui que le diabète par exemple mais effectivement, ce type de discours ne s'applique pas à l'Afrique. Le prix n'est plus aujourd'hui le véritable obstacle là-bas mais c'est plutôt l'accès au traitement qui pose problème : comment stocker le médicament, délivrer des ordonnances, contrôler le suivi du traitement dans des régions reculées d'Afrique ? Le Sida est un révélateur de dysfonctionnements personnels (par exemple les rapports sexuels compulsifs non protégés), sociaux (la vulnérabilité de la femme dans des sociétés machistes) et globaux (comment réduire les inégalités Nord-Sud d'accès aux soins ?).

Esprit libre : On évoque l'arrivée d'un vaccin contre le Sida : où en est-on ?
Nathan Clumeck : Il y a deux grands types de vaccins : le vaccin comme celui de la grippe qui empêche le pathogène de s'accrocher à la cellule au travers d'anticorps neutralisants et le vaccin comme celui de la rougeole qui en plus des anticorps aide l'organisme à fabriquer des cellules tueuses chargées de tuer le pathogène en intracellulaire. Dans le cas du virus du Sida, les scientifiques ont longtemps exploré la première piste de vaccin qui s'est révélée une impasse : le virus réussit à camoufler ses sites actifs, à muter et à échapper aux anticorps. Aujourd'hui, on s'oriente donc plutôt vers un vaccin basé sur l'immunité cellulaire mais le travail est encore long : il existe à ce jour une quinzaine de candidats vaccins qui devront être testés d'abord sur le chimpanzé, ensuite sur l'homme. De nombreuses questions éthiques se posent : comment tester le vaccin sur des populations à risque telles que les homosexuels ou les prostituées sans les stigmatiser ? Paradoxalement, pour vérifier l'efficacité d'un vaccin, il faudra que les candidats ne se protègent pas. Et le jour où le vaccin sera commercialisé, qui y aura réellement accès ? La question du Sida n'est pas uniquement médicale sinon ce serait beaucoup plus simple d'y répondre : l'épidémie de Sida est multifactorielle. Son contrôle implique d'agir à tous les niveaux depuis l'organisation générale des soins jusqu'à la lutte contre les inégalités en passant par l'émancipation des femmes.

Esprit libre : Le 1er décembre est désormais une date symbole, celle de la Journée mondiale de la lutte contre le Sida créée par l'ONU. La médiatisation et son corollaire - la mobilisation - sont-elles cruciales ?
Nathan Clumeck : Sans aucun doute. Le dépistage est la base de la prévention et passe par une bonne communication. Aujourd'hui, nous devons toutefois mieux cibler cette sensibilisation vers des hommes et des femmes qui adoptent des comportements à risque. Une bonne approche, déjà adoptée à San Francisco, est de développer une stratégie au départ de patients séropositifs et de leur entourage; c'est ce que l'on appelle la prévention secondaire. Un de nos patients par exemple nous a aidés à identifier une vingtaine de ses partenaires : douze d'entre elles étaient contaminées. Cet exemple nous montre que plutôt que de lancer des campagnes de prévention grand public souvent onéreuses, nous aurions intérêt dans les pays à faible prévalence comme la Belgique à développer une stratégie ciblée tout en veillant bien sûr à préserver la confidentialité du patient et de son entourage.

Nathalie Gobbe

Son histoire professionnelle s'est inscrite en filigrane de l'histoire du Sida : il y a 25 ans, le premier cas de Sida était détecté chez un patient africain à l'Hôpital Saint-Pierre, Nathan Clumeck était alors jeune médecin. Regard sur hier, aujourd'hui et demain...



En équipe face au Sida

Faire face au Sida : comme l'an dernier, la Plateforme Prévention Sida lance un appel à la solidarité à l'occasion de la Journée mondiale contre la maladie. Le slogan ? " En équipe face au Sida " ou comment manifester sa solidarité avec les personnes séropositives et les malades, lutter contre leur isolement et le regard discriminatoire des autres. Au programme, notamment, une marche de solidarité à Ixelles et Bruxelles, avec une série d'activités de sensibilisation en prélude à la Marche. Plus d'infos ? http://www.preventionsida.org/

 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2006 [ n°44 ]
Université libre de Bruxelles