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L'état dans le monde

Au sein de l'Hôpital académique Erasme, l'Unité de traitement des immunodéficiences (UTI) suit régulièrement quelque 500 patients en équipe pluridisciplinaire. Cet été, Jean-Paul Van Vooren et Jean-Christophe Goffard, tous deux médecins au sein de l'UTI, étaient à Toronto pour le 16e Congrès international sur le Sida. Un Congrès où il a été fort question de politique internationale et de financement de la lutte contre la maladie : le budget annuel s'élève à quelque 7 millions de dollars venus surtout de fonds privés dont l'importante fondation de Bill Gates, ce qui soulève aussi la question de la pérennité de cette lutte.

Une certitude : la meilleure arme contre le Sida reste la prévention. Au chapitre des avancées scientifiques, le Congrès de Toronto a épinglé la thérapie préventive. Mais comme l'explique Jean-Christophe Goffard, " il a été montré qu'il est possible de convaincre une population à risque donnée non-infectée de prendre régulièrement un médicament prescrit, mais il n'a pas été démontré scientifiquement que ce traitement préventif est réellement efficace. De plus une telle stratégie présente le danger de provoquer des mutations virales ou d'inciter l'individu, se croyant protégé, à adopter des comportements à risque ". Autre piste : le vaccin, mais on est encore loin d'une application (lire l'interview du Prof. Nathan Clumeck).

Reste alors le traitement des séropositifs... Aujourd'hui, sous nos contrées, les médicaments sont efficaces : grâce à la trithérapie. " Sous médicaments antirétroviraux, près de 80 % des patients atteignent un taux de virus indétectable, c'est-à-dire une quantité de virus si faible qu'elle est incapable de muter et d'échapper au traitement. Pour les quelque 20 % d'échec, il s'agit soit de patients qui ne suivent pas correctement leur traitement, qui ne le tolèrent pas, ou parfois d'une prescription mal adaptée. Les interactions médicamenteuses sont un souci majeur dans notre spécialité : plus vous prenez de médicaments différents, plus vous risquez des interférences, une augmentation de la toxicité ou une perte d'efficacité. Nous pensons que les personnes séropositives pour le VIH devraient atteindre une espérance de vie proche de celle des séronégatifs ; la polymédication étant habituelle chez les personnes âgées, il nous faudra rester très attentifs en maintenant toutes les synergies nécessaires avec les médecins généralistes et les autres spécialistes pour éviter la prescription non-intégrée de médicaments. Sans quoi, nous pourrions assister à des échappements tardifs à un traitement si longtemps bien suivi ", souligne Jean-Paul Van Vooren.

Nathalie Gobbe


La prise en charge du Sida exige la mise en commun de compétences multiples, si possible au niveau de centres pluridisciplinaires. Les situations sont très différentes à travers le monde. Cet été, les experts s'étaient donné rendez-vous à Toronto pour échanger les dernières avancées scientifiques et questionnements sociétaux. Échos de ce 16e Congrès international sur le Sida avec Jean-Paul Van Vooren et Jean-Christophe Goffard, médecins à l'Hôpital Erasme.



Vers l'éradication du virus ?

Directeur de recherches FNRS à l'Institut de biologie et de médecine moléculaires, Carine Van Lint s'intéresse aux mécanismes moléculaires qui contrôlent l'expression des gènes du HIV-1 et aux implications de ces mécanismes pour éradiquer le virus du Sida chez le patient.

Esprit libre : Le virus HIV reste en veille chez le malade. Expliquez-nous...
Carine Van Lint : L'apport des antirétroviraux au traitement des patients infectés par le virus HIV-1 a été considérable. Cependant, un problème majeur demeure : malgré une multithérapie anti-Sida prolongée, des réservoirs cellulaires infectés par des virus latents persistent chez les patients. La production virale peut être réactivée dans ces cellules réservoirs par de nombreux stimuli cellulaires (un rhume par exemple), et ces cellules constituent donc une source permanente de reprise de la production virale en cas d'arrêt du traitement. Etant donné la longue demi-vie de certains de ces réservoirs, on estime que leur éradication totale avec le traitement anti-Sida actuel nécessiterait plus de 60 ans. Donc, une optimisation importante des traitements anti-Sida consisterait à purger les réservoirs cellulaires en administrant des agents qui réactivent l'expression des virus latents, tout en maintenant le patient sous un traitement anti-Sida efficace et/ou intensifié. Actuellement, permettre à un patient d'interrompre son traitement pendant 3 ou 6 mois sans conséquences cliniques est considéré comme un succès thérapeutique.

Esprit libre : Au sein de votre Laboratoire de virologie moléculaire, à l'IBMM, vous travaillez activement à relever ce défi...
Carine Van Lint : On sait aujourd'hui que la latence du HIV-1 résulte d'un blocage au niveau de la transcription virale. Nous testons la possibilité d'éradiquer le virus en combinant un traitement antirétroviral adapté avec des activateurs de la transcription du virus dont l'ester de phorbol nontumorigène postratine et des inhibiteurs de désacétylases. Plus spécifiquement, en collaboration avec l'équipe des professeurs N. Clumeck et S. De Wit au CHU Saint-Pierre, nous avons isolé des cellules réservoirs à partir du sang de patients séropositifs sous multithérapie chez qui le virus est indétectable depuis au moins un an. Nous avons démontré une réactivation de la transcription et de la production virales à la fois par la prostratine et par des inhibiteurs de désacétylases pris séparément. Nous avons aussi montré que la combinaison prostratine plus inhibiteur de désacétylases réactive les virus latents de manière synergique, c'est-à-dire plus efficacement que la somme de chaque activation isolée.

Esprit libre : Oserait-on déjà imaginer un traitement ?
Carine Van Lint : Pas dans l'immédiat. Nous testons à l'heure actuelle quelles seraient les combinaisons d'activateurs les plus efficaces et à quelles doses les utiliser. En effet, il existe une trentaine d'inhibiteurs de désacétylases différents. De plus, nous essayons aussi de comprendre pourquoi nous ne réussissons pas à réactiver le virus à partir de tous les échantillons de sang de patients et d'établir éventuellement un test clinique prédictif pour sélectionner les patients ayant la plus grande probabilité de répondre aux combinaisons prostratine plus inhibiteurs de désacétylases.

 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2006 [ n°44 ]
Université libre de Bruxelles