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Le résistant, la génétique et le pigeon

Esprit libre : Nous sommes à l'Institut de biologie et de médecine moléculaires de l'ULB, dans le Service de génomique… Pourquoi ?
Georges de Paduwa : Je dirige, avec mon ami Dany Van Bael, une association colombophile qui s'appelle "La colombe joyeuse". Vous savez, les pigeons, je suis né dedans, j'ai été élevé dedans et je mourrai dedans. Nous avons souhaité rencontrer les gars du labo ici pour déterminer des cartes d'identité génétiques des pigeons qui permettraient d'établir des liens de parenté entre eux. Pourquoi ? Parce que les amateurs, particulièrement les étrangers, sont fous de ce que l'on appelle le "pedigree". Et ça ce n'est pas évident. Celui qui a trouvé l'idée de prendre le pigeon comme symbole de la fidélité s'est bien foutu le doigt dans l'œil… Le pigeon est prêt à piquer la première femelle qu'il rencontre. Par conséquent, on n'est jamais sûr de ce qui s'est passé. Donc si on veut établir un pedigree fiable, c'est-à-dire prouver que tel individu est bien le descendant de tel autre, on doit faire des tests génétiques. L'équipe d'Arnaud Termonia a donc créé une carte d'identité pour les pigeons, et cette carte utilise des marqueurs génétiques.

Esprit libre : On voit bien l'intérêt au plan de la recherche fondamentale. Cela rejoint toute la question de la "traçabilité". Mais j'imagine qu'il y a aussi un intérêt financier à disposer de ce genre de carte.
Georges de Paduwa : La Belgique a une réputation internationale dans le domaine de la colombophilie. Du coup, dès qu'un pigeon a gagné un grand concours, ses descendants ou ses proches ont une valeur commerciale importante. Un pigeon qui gagne un concours national vaut directement un million, un million et demi… Si c'est un concours international, il vaut de deux à trois millions, mais ça peut monter jusqu'à cinq ou même sept millions ! Cela dit, même si la génétique résout la question de l'origine de tel ou tel pigeon et permet d'obtenir des pedigrees et des critères d'identification fiables, en revanche personne jusqu'à présent n'a démontré que le fabuleux sens de l'orientation du pigeon était héréditaire… Ce sont deux questions différentes.

Esprit libre : Notre magazine s'appelle "Esprit libre". C'est un titre qui doit bien convenir à un ancien membre du Groupe G…
Georges de Paduwa : Oui. Je faisais ma thèse de doctorat quand la guerre a commencé. Le Conseil d'administration a décidé de fermer l'université pour qu'elle ne soit pas dirigée par l'occupant allemand. Et, de fil en aiguille, je me suis retrouvé entraîné avec des amis de l'université pour former le Groupe G. On n'a jamais su combien nous étions en tout parce qu'on travaillait par cellules. Nous étions spécialisés notamment dans le sabotage du chemin de fer. Étant chimiste, j'avais comme mission de leur procurer des solvants synthétiques, des produits moussants qu'on emploie par exemple pour laver la vaisselle. On les mettait dans les cheminées des locomotives à vapeur… Cinq kilomètres après, c'était fini pour elles.

Esprit libre : Vous vous occupiez encore de pigeons, quand vous étiez dans la Résistance ?
Georges de Paduwa : Figurez-vous que oui ! Notamment, nous avons récupéré, dans les Ardennes, près de Ciney, des pigeons parachutés par les Anglais dans des paniers en osier. Nous leur placions des petites bagues métalliques dans lesquelles nous mettions des messages destinés à retourner en Angleterre. Pendant la guerre, le record a été réalisé par un pigeon lâché en hiver dans le Nord du Danemark et qui est arrivé en Angleterre… Je ne sais pas si vous le savez mais à Bruxelles il y a même un monument au pigeon soldat. Il se trouve au bout de l'ancien Marché aux poissons.

Esprit libre : Cela vous a fait une jeunesse fameusement mouvementée, tout ça…
Georges de Paduwa : Je crois qu'aujourd'hui, malheureusement, les étudiants rentrent à l'université pour obtenir le plus rapidement possible un diplôme. Or qu'est-ce que c'est que l'université ? C'est le passage de l'adolescence à l'âge adulte. Plus ce passage sera mouvementé, plus nous serons des adultes responsables.

Nicolas  Van den Bossche


C'est l'histoire d'une rencontre avec un homme incroyable ! Il s'appelle Georges de Paduwa. Il a 85 ans. Il est diplômé de l'ULB, docteur en sciences chimiques. C'est un ancien résistant, membre du fameux "Groupe G". C'est aussi un colombophile passionné. Pour corser le tout, c'est dans un laboratoire de l'IBMM à Gosselies que nous l'avons rencontré.



 
  ESPRIT LIBRE > DECEMBRE 2002 [ n°9 ]
Université libre de Bruxelles