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Albert Einstein - L'autre regard : expo, mode d'emploi

Entre science et humanisme, entre physique et politique, la vie d'Albert Einstein ne peut laisser indifférent. Au-delà des clichés, elle laisse entrevoir un parcours plus complexe qu'il n'y paraît et toujours passionnant...

Sacré Albert...

Cher Niels Bohr,
Ne froncez pas les sourcils, car ce n'est pas de notre vieille dispute de physiciens qu'il s'agit aujourd'hui mais d'une question sur laquelle nous sommes du même avis. Bertrand Russel m'a écrit récemment (...). Il veut rassembler un petit nombre de savants de renom international afin qu'ils adressent en commun un avertissement aux peuples et aux gouvernements du monde entier au sujet de la menace que font peser sur tous les peuples les armes atomiques (...). Je suis moi-même de la partie, ma présence sera favorablement ressentie à l'étranger, mais non à l'intérieur du pays [les États-Unis], car je fais figure ici (et pas seulement dans les matières scientifiques) de brebis galeuse.(...)
(A. Einstein, 2 mars 1955)

Le 18 avril 1955, Albert Einstein, physicien et humaniste, s'éteint à Princeton. Quelques jours auparavant, il a signé avec Bertrand Russel, philosophe et logicien britannique, une lettre invitant les peuples à trouver d'autres moyens de préserver la paix qu'une course effrénée aux armements. Ce manifeste pacifiste n'est pas le premier d'Einstein mais celui-ci le concerne de près : la conversion dévastatrice de masse en énergie à l'oeuvre dans les bombes atomiques est une application directe, non anticipée par Einstein lui-même, de l'équation E=mc².

Lorsqu'il découvre en 1905 l'équivalence entre masse et énergie, Einstein est employé à l'Office des brevets de la ville de Berne. Il travaille à " sa chère physique " durant ses heures de loisir, en berçant le jeune Hans Albert, fils d'Einstein et de Mileva Maric, sa compagne et collègue depuis leurs études à l'École polytechnique de Zurich.

La découverte de E=mc² aurait suffi à apporter à Einstein, sinon la gloire, du moins la reconnaissance de ses pairs. Si l'on célèbre aujourd'hui le centenaire de 1905, c'est surtout parce qu'il pose, cette année-là, les premiers jalons d'une révolution qui devait bouleverser l'espace, le temps et la matière. Rien de moins.

Einstein et la Belgique

Septembre 1933 : après quelques mois passés au Coq-sur-Mer, Einstein quitte la Belgique pour la dernière fois. Son premier séjour remonte à l'automne 1911. Il assiste au premier Conseil de physique organisé par Ernest Solvay sur les problèmes du rayonnement électromagnétique et des quanta. Il reviendra en Belgique à plusieurs occasions, rencontrera le Roi Albert 1er et la Reine Élisabeth - avec laquelle il entretiendra une correspondance amicale toute sa vie durant - et, lors d'un autre Conseil Solvay resté célèbre, joutera contre Bohr à propos de l'interprétation de la mécanique quantique.

Fissures

Époque terrible et fascinante que cette fin du XIXe siècle : explorations, conquêtes, colonies, révolutions artistiques, industrielles et sociales... La physique, elle, est plus sereine, en apparence. Le siècle écoulé a vu le triomphe de la mécanique de Newton et l'émergence d'une théorie unifiée des phénomènes électriques et magnétiques due au physicien écossais Maxwell. Une compréhension de l'ensemble des phénomènes physiques concernant le comportement de la lumière et de la matière semble à portée de main. Certains, comme Kelvin, prédisent la fin de la physique.

Cependant des problèmes subsistent qui interpellent les esprits. D'après Maxwell et Young, la lumière est une onde mais les expériences montrent qu'elle ne se comporte pas comme une vague sur l'eau. D'abord, quel que soit le mouvement de la source ou de l'observateur, sa vitesse est toujours la même, environ 300.000 km/s. Aussi, elle est capable d'arracher avec violence des électrons d'une plaque de métal, alors qu'en tant qu'onde, elle ne devrait être que caresse. Ces problèmes sont autant de fissures dans l'édifice de la physique.

1905 : la physique atomisée

Le jeune Einstein fait peu de cas de l'autorité de ses professeurs... et ne le cache pas. Il devra élaborer ses théories en marge d'une activité de clerc dans un bureau d'homologation des brevets à Berne, et non pas dans une université ; du moins pas tout de suite.

Début 1905, il soumet un premier article à la prestigieuse revue Annalen der Physik. Reprenant une idée de Planck, il émet l'hypothèse que la lumière ne se comporte pas que comme une onde mais aussi comme si elle était faite de paquets d'énergie, ou quanta. Cette idée, révolutionnaire, iconoclaste, rompt avec la dichotomie établie par ses prédécesseurs, selon lesquels les phénomènes sont soit ondulatoires, soit corpusculaires. Einstein croit aux atomes ; c'est d'ailleurs le sujet de sa thèse. Combien sont-ils ? Et de quelle taille ? Il réussit à les " compter " en analysant mathématiquement le problème de l'agitation d'impuretés en suspension dans un fluide, ou mouvement brownien. C'est un deuxième article et le début de la fin du long débat entre opposants et défenseurs des atomes.

Si à bord d'un avion en vitesse de croisière, on ne se soucie pas de la vitesse de l'avion avant de se servir un café, c'est parce que les lois du mouvement sont les mêmes que nous soyons au repos ou en mouvement en ligne droite à vitesse constante. Certains mouvements " ne comptent pour rien " comme le disait déjà Galilée. Parce que sa vitesse est toujours la même, la lumière semble a priori échapper à ce principe, ce qui pour Einstein est inacceptable. Il montre, dans un troisième article dédié à la relativité que, si la vitesse de la lumière peut être la même pour tous, c'est que le temps et l'espace ne le sont pas !

Septembre 1905. Einstein soumet un quatrième article de trois pages, presque un post-scriptum à l'article de la relativité. Il y démontre que la matière, ou plutôt la masse, recèle une énergie colossale...

Le début de l'histoire

L'année 1905 n'est que le début de notre histoire ; ici aussi commence l'histoire d'Einstein. D'abord physicien respecté de ses pairs mais, au lendemain de la Grande guerre, il deviendra l'incarnation du génie humain.

En 1919, une expédition menée par l'astronome britannique Eddington profite d'une éclipse totale du soleil pour vérifier une des prédictions de la théorie de la gravitation d'Einstein (aussi appelée relativité générale et terminée en 1915) portant sur la déviation par le soleil de la lumière qui nous vient des étoiles. Du jour au lendemain, Einstein devient une vedette mondiale ; ses déplacements soulèvent l'enthousiasme et mobilisent les foules. Curieusement le prix Nobel qu'il recevra en 1922 ne sera pas attribué à ses travaux sur la relativité mais à son explication de l'effet photoélectrique dans l'article de 1905 sur le quantum de lumière.

Dieu et les dés

Des quatre articles - dont, selon les propres mots d'Einstein, un au moins est révolutionnaire - sortiront directement ou indirectement bien d'autres découvertes ou applications. Toutes n'enchanteront pas Einstein, loin de là. Passons sur l'ignominie de la bombe. Einstein n'a pas contribué à sa réalisation (il a, de fait, été délibérément mis à l'écart) mais a signé deux lettres destinées à avertir le président Roosevelt des dangers que représenterait une telle arme. Moins connu, moins spectaculaire aussi, mais peut-être plus révélateur fut son refus presque obstiné d'accepter les conséquences de la mécanique des quanta. La mécanique quantique implique que le monde de l'infiniment petit soit régi par les probabilités. Le débat sur la place du hasard dans le monde des quanta, qui eut lieu en partie à Bruxelles dans les salons de l'hôtel Métropole, est resté célèbre, tout autant que la sentence d'Einstein. Pour lui, " Dieu ne joue pas aux dés! ".

Quanta, atomes, relativité, E=mc²... L'exposition est une invitation à explorer, de manière interactive, les dessous de ces notions. Des applications au quotidien - savez-vous que la soi-disant très abstraite théorie de la relativité générale est nécessaire au bon fonctionnement du système GPS ? - jusqu'aux limites de nos connaissances, entre infiniment petit et infiniment grand -savez-vous que le Big Bang est, au moins en partie, une idée belge ?

Entre Albert et Einstein

Nous avons tous en tête un Einstein distrait, facétieux. Ne tirait-il pas la langue aux journalistes ? Parfois agacé, plus souvent amusé par sa notoriété, Einstein a surtout su la mettre à profit pour défendre ses idées et ses idéaux. Méprisant les nationalismes, il appelle de ses voeux un système de gouvernance transcendant les frontières, seul capable selon sa logique, de bannir à jamais les guerres. Loin de l'image de l'humaniste naïf, Einstein est un homme engagé, courageux, lucide et indépendant, militant pour les droits civiques des noirs américains ou appelant au refus de témoigner en plein maccarthysme.

Quel Einstein célébrons-nous ? Le scientifique de génie ? L'humaniste ? Il y a plusieurs Einstein et aucun ne se laisse facilement cerner. Les causes mêmes du mythe sont multiples. Bien d'autres savants ont fait ou feront des découvertes tout aussi remarquables mais la plupart d'entre eux ne seront jamais connus du grand public. Or, Einstein a tout simplement été l'homme le plus célèbre du XXe siècle, élu comme tel en 1999 par les lecteurs du magazine américain Times, devant Gandhi et devant Hitler.

Michel Tytgat
Chercheur qualifié FNRS, Faculté des Sciences - Service de physique théorique, Coordinateur pour l'ULB de l'exposition " Albert Einstein - L'autre regard "

L'exposition " Albert Einstein - L'autre regard " est une invitation à découvrir la vie et l'héritage d'un physicien qui allait bouleverser le siècle. Conçue pour un large public, elle nous entraîne des prémisses du bouillonnant XIXe siècle à 1905, année de la relativité, pour nous faire découvrir ensuite les ondes de choc qui nous touchent encore aujourd'hui.



Autour de l'expo...
Durant toute la durée de l'exposition, une série d'activités destinées au grand public et aux écoles permettront d'en savoir encore plus sur l'oeuvre d'Albert Einstein au travers de conférences, expériences, animations...

Pour en savoir plus ? http://www.alberteinstein.be

 
  ESPRIT LIBRE > JANVIER 2006 [ n°35 ]
Université libre de Bruxelles