Des situations de résolution de problèmes au sens du travail en passant par le stress professionnel, Guy Karnas a consacré de nombreuses années de recherche aux multiples facettes du management de l'incertitude. Différentes facettes que cinq experts européens - et plusieurs de ses anciens doctorants - ont évoquées lors du colloque " Le management de l'incertitude " qu'organisait, en octobre dernier, le Laboratoire de psychologie du travail et psychologie économique de l'ULB. Une manière de mettre à l'honneur celui qui, pendant quelque 25 années, dirigea le laboratoire aux côtés de Pierre Salengros, avec qui il illustre un modèle de coopération dans le travail et de connivence " qui ne se retrouve pas partout, loin de là ", rappellera un des intervenants. Précisons que si Guy Karnas est admis à l'éméritat, il n'en reste pas moins impliqué dans l'Université, en particulier comme adjoint du président pour la politique de la gestion des ressources humaines.

Incertitude, stress, autonomie

Alors, que dire du management de l'incertitude ? Citant à la fois René Descartes - " Il faut douter de toutes les choses où l'on aperçoit le moindre soupçon d'incertitude " - et Pierre Desproges - " La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute " -, Alain Lancry, de l'Université Picardie Jules Verne, a fait le lien entre incertitude, doute et stress. Thème " à la mode " - au travail, on n'est pas débordé ou surchargé mais stressé ! -, le stress ne rencontre pourtant pas une définition univoque : certains auteurs s'attachent aux agents stressants, d'autres définissent les effets du stress ou encore les relations de type stimulus-réponse. Le stress présente donc une variété de définitions, souvent imprécises. Des situations d'incertitude peuvent causer du stress, tout comme peuvent également le faire des situations de certitude - la répétition des mêmes gestes, dans des minutages précis, etc. ! Et Guy Karnas d'interroger : " Quel est le rapport entre incertitude et autonomie ? Quels sont les instruments du contrôle de l'incertitude ? L'autonomie est-elle la garante du contrôle de l'incertitude ou au contraire, est-elle à la base d'un surcroît d'incertitude ? ".

Gérer l'indécision...

Autre questionnement, celui de Yann Forner de l'Université de Lille 3 : il s'est intéressé à l'incertitude et la décision vocationnelle. Une étude menée auprès d'étudiants de 1re année à l'Université Lille 1 a montré que les étudiants " d'incertitude moyenne " avaient le mieux réussi leur session de janvier. Les autres - les " très indécis " et les " très sûrs de soi " - ont le taux d'échec le plus élevé. Et Guy Karnas d'insister : " l'état d'indécision n'est pas nécessairement un état pathologique. La question-clef étant : comment cette indécision peut-elle être gérée ? ". Et de rappeler, dans la continuité de son ancien doctorant Pierre-Jean Marescaux de l'Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand, que ce que le psychologue peut faire, c'est aider à gérer cette indécision.

Que devient le sens du travail ?

Venu de l'Université de Trento, Franco Fraccaroli s'est lui attaché à l'incertitude et au sens du travail. Épinglant des sources d'incertitude habituelles aujourd'hui - contrats de travail atypique, gestion de carrière sans frontière, crise de l'État Providence, etc. -, Franco Fraccaroli en résume la conséquence majeure : le travail perd progressivement sa centralité dans la vie de l'individu. Guy Karnas souligne une question-clef : " que devient le sens du travail dans un contexte d'incertitude, comme actuellement ? ". Et de constater que les psychologues du travail devront à l'avenir reconnaître les différences entre individus face à ces évolutions et apporter à chacun des réponses adaptées, personnalisées.

Le colloque l'a démontré, s'il le fallait : le management de l'incertitude a encore de beaux jours devant lui et bien des questions scientifiques à soulever. Au point que plusieurs intervenants ont suggéré la création d'un réseau d'échange autour du management de l'incertitude. Cette suggestion n'aura pas laissé indifférent Guy Karnas, qui a expliqué : " la notion de management de l'incertitude présente une grande pertinence par rapport à ce que la psychologie du travail doit être. Elle nous oblige en effet à traiter de l'homme au travail dans sa globalité et complexité d'homme et non pas par un découpage uniquement dicté par l'organisation de la discipline elle-même ".

Nathalie Gobbe